L'esprit créatif de Steve Jobs, décédé mercredi à 56 ans, et le succès de la marque à la pomme étaient si imbriqués que sa mort instille le doute sur la capacité du groupe à continuer à présenter des innovations décisives pour le marché de l'électronique.

"En tant qu'analyste spécialiste des nouvelles technologies, son décès m'attriste. C'était le groupe Apple de Steve Jobs, pas Steve Jobs du groupe Apple", confie Kim Young-chan, de Shinhan Investment à Séoul.

"Apple n'a plus quelqu'un d'aussi créatif et ambitieux que Jobs sur lequel compter", relève de son côté Simon Liu, de Polaris Group.

Les dirigeants de Samsung Electronics, Amazon, Google ou Sony ont tous salué la mémoire de Steve Jobs, signe de leur respect pour cette figure de la Silicon Valley. Mais son décès pourrait leur ouvrir de nouvelles perspectives.

Le premier des concurrents d'Apple, Samsung, voit son destin intimement lié à celui du groupe de Cupertino.

Les analystes estiment que le conglomérat sud-coréen est l'un des fabricants les mieux placés pour concevoir un produit novateur et enthousiasmant susceptible de défier Apple sur son terrain. Samsung produit déjà le Galaxy Tab, principal adversaire de l'iPad sur le marché des tablettes multimédias.

Apple est également le premier client de Samsung, qui lui fournit des puces et des écrans. Et les deux groupes ont multiplié ces derniers mois les batailles judiciaires, dont la dernière en date porte sur le tout nouvel iPhone 4S que le sud-coréen souhaite faire interdire en France et en Italie.

La capitalisation boursière de Samsung, 115 milliards de dollars, reste toutefois bien inférieure aux 345 milliards du géant américain.

"REDEVENIR UNE SOCIÉTÉ ORDINAIRE"

Pour Lee Seung-woo, analyste spécialisé dans les technologies chez Shinyoung Securities, Apple a révolutionné le secteur, mais son influence risque de décliner sans Steve Jobs à sa tête.

"Sous l'ère Jobs, Apple a consolidé les différents secteurs de l'informatique en un seul et grand marché pour les consommateurs et a fait énormément de victimes (chez ses concurrents)", note-t-il.

"Sans Jobs, les rivaux d'Apple vont désormais avoir un peu de temps pour revenir à hauteur et des géants comme Google, Samsung, Microsoft et Facebook vont tenter d'occuper le vide laissé."

A court terme, Apple devrait toutefois conserver sa longueur d'avance, du moins tant qu'il lancera les derniers produits conçus sous la houlette de Steve Jobs, prévient Jan Dawson, analyste du cabinet de consultants Ovum.

"Toute la question est de savoir si, sans lui, (Apple) peut continuer à lancer des produits emblématiques et très prisés (...) A plus long terme, Apple risque de redevenir une société plus ordinaire sans lui", juge-t-il.

LE MAUVAIS PRÉSAGE DE L'IPHONE 4S

Symbole de cette menace, la mort de Steve Jobs survient au lendemain de la présentation par son successeur Tim Cook du nouvel iPhone 4S, un appareil qui n'a guère suscité d'enthousiasme. Nombre de fans ont regretté l'absence d'innovation majeure pour ce produit parmi les plus vendus dans le monde.

Aux yeux des analystes, ce relatif revers pourrait permettre aux rivaux d'Apple de pousser leurs pions en dévoilant de nouveaux produits.

Jeudi, l'action Samsung a progressé de 1,54%, LG Electronics de 6,33% et Sony de 4,7%, dans un marché globalement orienté à la hausse. Le titre Apple coté à Francfort perdait de son côté quelque 3%.

"Jobs était un patron remarquable et son successeur Tim Cook doit passer le test de la capacité d'Apple à dominer le marché mondial comme avant", relève Lee Jun-hyuck, gérant de fonds pour Dongbu Asset Management.

Les smartphones équipés du système d'exploitation Android de Google, qu'utilisent notamment Samsung, HTC, LG et Motorola, ont conquis toutes marques confondues une part de marché supérieure à celle de l'iPhone, qui reste toutefois le premier combiné multimédia en termes de ventes.

"Apple est confronté à de grands défis avec la perte de Jobs et cela va laisser aux autres groupes technologiques l'opportunité de contester sa suprématie", résume Lee Jun-hyuck.

Jean Décotte pour le service français, édité par Dominique Rodriguez