"Les représailles agressives de Pékin réduisent les chances d'un accord rapide et ravivent les craintes de récession à l'échelle planétaire," explique Ye Lin, vice-présidente chargée des marchés pétroliers chez Rystad Energy. Elle ajoute que la croissance de la demande chinoise, estimée à 100 000 barils par jour, pourrait être compromise si le conflit perdure, malgré les éventuelles mesures de relance que pourrait prendre Pékin.
Pressions multiples sur le marché pétrolier
Aux inquiétudes concernant la demande s'ajoutent des perspectives d'augmentation de l'offre. L'Arabie Saoudite peine à faire respecter les quotas de production par les autres membres de l'OPEP+. Le Kazakhstan, l'Irak et les Émirats arabes unis sont particulièrement pointés du doigt, avec une surproduction estimée à 1,2 million de barils quotidiens. La décision récente de l'OPEP+ d'augmenter sa production de 411 000 barils par jour en mai a accentué la pression à la baisse.
Mercredi, le Brent s'échangeait à 61,40 dollars tandis que le WTI se situait à 58,16 dollars. Depuis l'annonce des nouvelles taxes douanières le 2 avril, le pétrole a perdu près de 20% de sa valeur. Selon Ipek Ozkardeskaya, analyste chez Swissquote, le prochain seuil psychologique à la baisse pour le WTI se situe à 50 dollars le baril, un niveau qui n'a pas été observé depuis janvier 2021.
Conséquences pour l'Arabie Saoudite et les producteurs américains
Cette chute des cours soulève des inquiétudes quant à l'équilibre budgétaire de l'Arabie Saoudite. Selon le FMI, le royaume aurait besoin d'un prix moyen de 91 dollars le baril cette année pour équilibrer son budget, alors que le pétrole représente 62% des revenus gouvernementaux.
Goldman Sachs envisage deux scénarios pour l'évolution des cours. Dans le premier cas, si l'économie évite la récession grâce à une réduction significative des droits de douane, la banque estime que le baril pourrait atteindre 62 dollars fin 2025 et 55 dollars fin 2026. Dans le cas d'une récession, les prévisions sont encore plus pessimistes : 58 dollars en décembre 2025 et 50 dollars en 2026.
Paradoxalement, cette situation pourrait servir les intérêts de l'Arabie Saoudite face aux États-Unis. Elle rappelle la stratégie adoptée en 2014, lorsque Riyad avait inondé le marché pour fragiliser les producteurs américains de pétrole de schiste. Selon une enquête de la Federal Reserve Bank of Dallas, ces derniers ont besoin d'un prix moyen de 65 dollars le baril pour forer un nouveau puits, alors que le WTI se négocie désormais sous les 60 dollars.
Si les prix demeurent bas, les producteurs américains pourraient se retrouver en difficulté, d'autant que leurs coûts d'exploitation risquent d'augmenter en raison des droits de douane sur l'acier. Une baisse de la production américaine serait alors favorable aux intérêts du Moyen-Orient, créant une dynamique géopolitique complexe autour des prix de l'énergie.
Les pays de l’OPEP, ayant eu du mal à maintenir une discipline pour faire grimper les cours du pétrole ces dernières années, font désormais face à des enjeux stratégiques. Alors que l'Arabie Saoudite pourrait retourner cette situation à son avantage afin de fragiliser les producteurs américains en profitant des faibles coûts d'extraction, cette crise révèle la vulnérabilité d'un système énergétique mondial soumis aux aléas diplomatiques et commerciaux.