PARIS (awp/afp) - Plus d'un an après le rachat du magazine Science et vie par Reworld Media, ses journalistes en sont convaincus : la pérennité de leur titre est menacée, un comble pour les défenseurs de ce passeur de savoir centenaire à l'heure où prolifèrent les fausses informations.

Manque d'effectifs, dégradation de la qualité éditoriale du site internet, nomination d'une directrice de la rédaction et d'un rédacteur en chef qui "n'y connaissent rien en science"... Depuis la rentrée, les griefs se sont multipliés dans les rangs de Science et vie.

Et les rassemblements, grève de trois jours et autre motion de défiance à l'encontre de la direction n'y ont rien fait : "ils n'ont pas bougé d'un iota", déplore un collaborateur régulier du mensuel de vulgarisation scientifique, qui souhaite garder l'anonymat.

Conséquence, les "trois quarts de la rédaction envisagent de partir", regrette sa consoeur Sylvie (prénom modifié), membre d'une équipe déjà tombée à 12 personnes contre 30 un an plus tôt.

Certains avaient préféré quitter le navire après sa vente par Mondadori à l'été 2019 à Reworld, un groupe à la réputation sulfureuse dans le monde de la presse.

Reworld, qui n'a pas souhaité s'exprimer auprès de l'AFP, est entre autres régulièrement accusé par les syndicats d'entretenir la confusion entre espaces publicitaires et contenus éditoriaux, en externalisant leur production.

"rentable"

"Il y a eu l'illusion qu'on serait épargnés parce qu'on avait un contenu presque de niche", relate Sylvie, qui a déchanté lorsque le site internet a été confié à des "chargés de contenus".

Même désillusion pour Hervé Poirier, l'ancien directeur de la rédaction parti en septembre après 21 ans de maison, en raison des "refus essuyés" pour toutes ses "demandes de réorganisation de la rédaction", qu'il ne pouvait "plus protéger".

Sur le site, l'absence de journalistes scientifiques à la manoeuvre se traduit par des "copier-coller de communiqués sans recul ni enquête", des confusions notamment entre "l'archéologie et la paléanthropologie", ou encore un article sur le lien entre carence en vitamine D et risque accru d'infection au Covid-19, "en contradiction avec une enquête à paraître dans" le mensuel, s'indignent les diverses sources interrogées.

De quoi décrédibiliser une revue pourtant "rentable", selon Hervé Poirier, et achetée par plus de 185.000 lecteurs chaque mois, d'après l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM).

Dépossédée du site, la rédaction est désormais invitée à "remonter les erreurs". Même "sur la partie magazine tout nous échappe", constate Sylvie, citant l'arrivée d'une "nouvelle rubrique" décidée sans concertation et annoncée "deux semaines avant le bouclage" pour accompagner le lancement d'un évènement organisé par Reworld.

"poisson-pilote"

Appelé à l'aide, le ministère de la Culture a selon elle "accusé réception".

En attendant, les soutiens se multiplient pour sauver un titre créé en 1913, respecté du grand public comme des chercheurs.

L'économiste Julia Cagé, qui milite contre "la toute puissance des actionnaires" néfaste à l'indépendance des médias, a ainsi lancé le compte Twitter "Sauvons Science et vie" pour lui épargner le sort funeste infligé selon elle à Biba et Grazia, également rachetés par Reworld à Mondadori.

"Comment accepter sa disparition sans une larme et un cri de rage ?", a de son côté tweeté le mathématicien Cédric Villani, se souvenant de "tant d'articles" l'ayant "passionné" dans les années 1980.

Contactée par l'AFP, l'astrophysicienne Françoise Combes salue pour sa part une revue "très accessible", qui permet de "combattre les fausses nouvelles" et "d'attirer les gens vers la science".

Sa consoeur Fabienne Casoli espère elle aussi le maintien d'un magazine "exigeant" alors que "le paysage de la presse scientifique s'est assez rétréci ces dernières années", notamment avec "le regroupement de Sciences et avenir et La Recherche".

L'importance du mensuel, "poisson pilote des médias de masse", va bien au-delà de son lectorat, insiste Yves Sciama, le président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information. Il "féconde vraiment l'ensemble du système médiatique".

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