* Un taux d'utilisation des doses de 24%

* Les soignants hésitent à se faire vacciner

* Départ poussif chez les généralistes

* Enjeux de taille pour les pays européens

par Caroline Pailliez et et Léa Guedj

PARIS, 8 mars (Reuters) - Diagnostiquée en avril dernier, Nadine Roger, 60 ans, a dû combattre un cancer du sein très agressif en pleine crise du COVID-19. Considérée comme une patiente à risque, elle s'est vu proposer le vaccin AstraZeneca par son médecin traitant, mais elle a refusé.

" AstraZeneca me fait peur", a dit à Reuters l'ingénieure biomédicale qui attend néanmoins impatiemment de recevoir une injection, mais avec le vaccin du laboratoire américain, Johnson and Johnson, qui pourrait être validé par la Haute autorité de Santé d'ici la fin de la semaine.

Le taux d'utilisation du vaccin AstraZeneca s'établissait à 24% en date du 28 février, soit un chiffre bien en deçà de l'objectif de 80-85% que le gouvernement s'était fixé pour cette date. Par comparaison, le taux d'utilisation du vaccin Pfizer /BioNTecch était de 82% et celui du vaccin Moderna de 37%.

Ce taux traduit une réelle défiance de la population, malgré les études récentes démontrant son efficacité et son innocuité.

Beaucoup s'inquiètent des effets secondaires. Les premières injections, destinées au personnel soignant dans les hôpitaux, ont été accompagnées de syndromes pseudo-grippaux, souvent de forte intensité, qui, même s'ils sont restés bénins, ont empêché certains soignants de travailler le lendemain.

Des personnes interrogées par Reuters ont également dit douter de l'efficacité du produit et s'inquiéter des changements de recommandation sur les cibles de vaccination.

Les autorités européennes avaient déconseillé la vaccination pour les plus de 65 ans. Emmanuel Macron a également déclaré récemment que le vaccin semblait "presque inefficace" chez les plus âgés, selon ce qu'ont rapporté des journalistes.

"Tout cela a entraîné un signal négatif sur les soignants mais aussi sur le reste de la population", a dit à Reuters Jacques Battistoni, président de MG France, un syndicat pour les médecins généralistes.

VACCIN DE "SECONDE ZONE"

L'enjeux est de taille pour les pays européens qui, comme la France, ont fait du vaccin AstraZeneca l'un des outils clés de leur campagne pour combattre le coronavirus.

Cette réticence concerne un grand nombre de professionnels du soin ou du milieu médico-social pour qui le vaccin est autorisé sans restriction d'âge. Seul un tiers d'entre eux sont pour l'instant vaccinés, selon le ministère de la Santé.

Malika, 54 ans, éducatrice spécialisée dans un centre pour sans-abris affilié à un hôpital, fait partie des sceptiques.

"J’ai cru comprendre qu’il n’était pas efficace sur certains variants, je me suis dit : 'je ne vois pas trop l’intérêt de me faire vacciner avec un vaccin de deuxième catégorie'", a-t-elle dit à Reuters, précisant vouloir attendre que le vaccin Pfizer soit disponible pour sa catégorie d'âge.

Seuls la moitié des médecins généralistes se sont par ailleurs portés volontaires lorsqu'ils en ont eu la possibilité pour vacciner les 50-64 ans présentant des comorbidités.

Pour le syndicat MG France, ce nombre est tout de même satisfaisant au regard de la période à laquelle se sont tenues les premières commandes - il s'agissait des vacances de février pour la région parisienne - et du temps nécessaire pour appeler les patients et les convaincre dans un agenda déjà bien chargé.

Les autorités européennes ont conclu que les effets secondaires causés par le vaccin AstraZeneca n'étaient pas dangereux. Une étude écossaise portant sur 5,4 millions de personnes a par ailleurs montré que ce vaccin, tout comme le vaccin Pfizer, était très efficace pour prévenir les formes graves de la maladie.

La France, l'Allemagne et l'Italie ont depuis changé leur braquet et autorisé la vaccination pour les plus de 65 ans. Et Emmanuel Macron a dit qu'il accepterait de recevoir le vaccin quand son tour viendrait.

"DÉCROCHAGE" FACE AU VARIANT SUD-AFRICAIN

Le président d'AstraZeneca France, Olivier Nataf, a défendu dans la dernière édition du Journal du Dimanche son produit, estimant qu'il était complètement efficace contre les formes graves et à 80% efficace pour prévenir les hospitalisations.

"Des confusions et des déceptions peuvent survenir. Beaucoup sont déjà résolues. Il y en aura peut-être d'autres. Mais l'ennemi reste la pandémie. Toute polémique diminue notre capacité à la vaincre", a-t-il dit.

Nadine Roger, l'ingénieure biomédicale qui combat un cancer, est néanmoins très inquiète de la perte d'efficacité du vaccin sur le variant dit sud-africain.

Les scientifiques observent en effet un "décrochage" important du sérum face à cette mutation du virus, a dit lundi sur franceinfo Anne-Claude Crémieux professeur en maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Louis à Paris, qui rappelle que ce variant ne représentait que 4% des infections en France.

Cette moindre protection et le fait qu'il faut attendre douze semaines entre deux injections - alors que pour le vaccin de Johnson and Johnson, une seule dose suffit - ne lui permettront pas de voyager lorsque les frontières rouvriront.

Pour cette férue d'aventures, qui a déjà parcouru le Yémen, le Mali ou encore l'Inde, et vient de passer une année de privations, repartir est une question de survie.

"Quand on a déjà eu deux cancers, qu’on a passé les 60 ans, on a envie de profiter de la vie, des années qu’on espère qu’il nous reste", dit-elle assise dans son salon, où trônent sur ses étagères de multiples statuettes, souvenirs de voyage.

"J’ai envie de pouvoir voyager. Et actuellement le vaccin AstraZeneca ne le permet pas", ajoute-t-elle.

Selon le ministre de la Santé, Olivier Véran, l'adhésion du personnel soignant à la vaccination devrait augmenter. Le ministre a néanmoins précisé que les doses non utilisées seraient redirigées vers la population générale. (Avec Christian Lowe, édité par Matthieu Protard)