New York (awp/afp) - Les grandes manoeuvres ont repris dans l'industrie pharmaceutique, signe de la volonté des laboratoires de doper leurs bénéfices et prendre moins de risques au moment où s'accentue la pression politique pour baisser les prix des médicaments.

Objet de spéculations portant sur son potentiel rachat, la biotech américaine Bristol-Myers Squibb (BMS) a dégainé la première en annonçant dès les tout premiers jours de l'année 2019 casser sa tirelire pour racheter sa rivale Celgene pour 74 milliards de dollars.

Eli Lilly lui a emboîté le pas en proposant 8 milliards pour Loxo Oncology, qui développe des traitements contre le cancer. Cette dernière opération annoncée lundi "souligne l'enthousiasme des grands laboratoires pour effectuer des acquisitions", en déduit Louise Chen, analyste au cabinet Cantor Fitzgerald.

"Nous créons une entreprise extraordinaire, spécialisée dans l'innovation scientifique, avec un accent sur trois domaines thérapeutiques dont les maladies auto-immunes et cardiovasculaires (...) Nous diversifions notre portefeuille et pouvons lancer six nouveaux traitements dans les 24 prochains mois", argumente Giovanni Caforio, le PDG de BMS. En plus "ça crée de la valeur pour les actionnaires dès le premier jour".

Signe de l'enthousiasme actuel, le Nasdaq Biotechnology, l'indice regroupant les entreprises du secteur, est en hausse de plus de 10% depuis le début de l'année.

Attentes fortes

"Les attentes pour des fusions-acquisitions dans la biotech ont augmenté", observe Asad Haider, analyste chez Goldman Sachs. Selon lui, les acheteurs ne manquent pas d'autant que les multinationales disposent d'importantes liquidités suite à la récente réforme fiscale américaine ayant abaissé massivement l'ardoise fiscale des sociétés.

Gilead Sciences, fabricant du traitement préventif contre le Sida Truvada, Biogen, Abbvie ou encore AstraZeneca sont des acquéreurs potentiels, avance M. Haider. Bristol-Myers Squibb demeure une proie malgré sa fusion avec Celgene, des analystes n'excluant pas une contre-offensive de Pfizer.

Les mouvements se concentrent dans la diabétologie, les maladies rares et surtout l'oncologie, galvanisée par la percée des CAR-T cells, une thérapie qui consiste à modifier en laboratoire les lymphocytes T du malade afin de les munir d'un récepteur (le CAR) capable de traquer les tumeurs.

Pour observer une effervescence comparable, il faut remonter à 2015/2016 quand Pfizer était prêt à débourser 160 milliards de dollars pour acheter Allergan mais y avait finalement renoncé en raison du veto de la Maison Blanche pour les fusions baptisées "tax inversion".

L'administration Obama estimait que ce mariage était essentiellement destiné à réduire la facture fiscale, le numéro 2 mondial de la pharmacie voulant se redomicilier en Irlande, siège de sa cible où le taux d'imposition des sociétés était alors faible comparé aux Etats-Unis.

L'ébullition actuelle est due au fait que les grands laboratoires pharmaceutiques doivent renouveler leur portefeuille, menacé par les expirations de brevets et sont prêts, pour certains, à payer des primes colossales pour limiter les dégâts causés par la montée en puissance des biosimilaires.

Ceux-ci sont des copies biologiques de traitements d'origine et sont attractifs pour les gouvernements qui ont resserré leur budget santé malgré l'envolée des prix des médicaments.

"Frein"

La France s'est par exemple fixé pour objectif d'atteindre un taux de pénétration de 80% de biosimilaires sur leurs marchés de référence, c'est-à-dire dans les indications thérapeutiques pour lesquelles ils sont approuvés.

Dans ce contexte, les fusions et acquisitions, qui génèrent souvent d'importantes synergies, sont l'opportunité pour certains laboratoires de réduire leurs coûts en supprimant les doublons.

Ils sabrent dans les budgets promotionnels, les effectifs de forces de vente et les fonctions support. Des plans de départs sont en cours chez Sanofi et Pfizer où des suppressions d'emplois sont attendues dans les prochains mois.

Les grands laboratoires diminuent également les dépenses de R&D (recherche et développement) en externalisant celle-ci ou en achetant des molécules en développement à des unités de recherche indépendantes.

Le coût de développement complet d'un nouveau médicament dépasse, selon les différents calculs des experts, 2,6 milliards de dollars.

Outre les fusions classiques, d'autres formules se répandent comme l'acquisition en plusieurs étapes d'une biotech en fonction des progrès obtenus lors des essais cliniques ou des partenariats stratégiques.

Toutefois les incertitudes entourant l'évolution des prix des médicaments, notamment aux Etats-Unis, pourraient être un "frein" aux potentiels mariages, prévient Asad Haider.

"Les prix augmentent généralement quand il y a des fusions", prévient Anupam Jena, enseignant à Harvard.

Or le président américain Donald Trump a fait de la baisse des prix des médicaments un de ses chevaux de bataille et ne cesse de tancer nommément les laboratoires pharmaceutiques augmentant leurs tarifs.

afp/jh