Tokyo (awp/afp) - Dernière "colombe" ultra-accommodante parmi les banques centrales des pays du G7, la Banque du Japon a encore campé vendredi sur ses positions, bien que sa résistance affaiblisse considérablement le yen et rende l'institution impopulaire auprès de l'opinion publique nippone.
La BoJ a toutefois souligné dans son communiqué qu'il était "nécessaire d'accorder une attention particulière" aux fluctuations sur le marché des devises, sans faire directement référence à la chute du yen.
Juste après ses annonces, la devise japonaise a brièvement décroché par rapport au dollar, alors que certains analystes et investisseurs s'attendaient à ce que la BoJ lâche un peu de lest sur son contrôle étroit des rendements obligataires japonais à dix ans.
La Bourse de Tokyo restait profondément dans le rouge, comme depuis le début de la séance, tandis que les rendements obligataires nippons refluaient.
La BoJ a conservé son taux négatif de 0,1% sur les dépôts des banques auprès d'elle, et va poursuivre sa politique d'achats illimités d'obligations publiques japonaises (JGB) à dix ans consistant actuellement à plafonner leurs rendements à 0,25%.
Car l'institution estime que l'économie nationale, toujours convalescente après la pandémie, n'est pas mûre pour un resserrement des conditions du crédit.
Une inflation importée et transitoire
"L'économie japonaise devrait continuer à croître, mais plus lentement" et les incertitudes sur son évolution "restent extrêmement élevées" du fait du Covid-19 et des répercussions de la guerre en Ukraine notamment, a-t-elle commenté.
Comme ailleurs dans le monde, l'inflation accélère également dans l'Archipel, ayant atteint 2,1% en avril (hors produits frais), un niveau inédit depuis 2015 et conforme sur le papier à l'objectif de 2% de la BoJ.
Mais ce n'est pas le type d'inflation que l'institution désire. Car la hausse des prix à la consommation au Japon est tirée par la flambée des prix de l'énergie et d'autres matières premières importées, et non par une réelle dynamique de croissance.
Ainsi la BoJ pense toujours que l'inflation ne devrait pas durer au Japon et retomber progressivement.
Ce diagnostic est toutefois fragilisé depuis quelques mois par la chute du yen, qui renchérit encore davantage les importations japonaises et renforce ainsi l'inflation dans le pays.
La dégringolade du yen, récemment tombé à ses plus bas niveaux face au dollar depuis 1998, est justement en grande partie liée aux divergences croissantes entre la politique ultra-accommodante de la BoJ et les resserrements monétaires intensifiés aux Etats-Unis et en Europe, des zones confrontées à des taux d'inflation beaucoup plus élevés.
Une situation "intenable"?
La BoJ affirmait encore dernièrement qu'un yen bon marché est globalement positif pour l'économie nationale, en soutenant notamment les bénéfices des grandes firmes nippones réalisés à l'étranger et leurs exportations. Mais cette opinion devient de plus en plus controversée dans le pays, accroissant encore la pression sur sa banque centrale.
Le gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, a été récemment étrillé sur les réseaux sociaux pour avoir estimé que les Japonais devenaient plus "tolérants" vis-à-vis de l'inflation au motif qu'ils avaient accumulé de l'épargne durant la pandémie. Il a dû publiquement retirer ses propos.
Selon un sondage de l'agence de presse Kyodo publié lundi, 59% des personnes sondées dans le pays se sont déclarées insatisfaites de l'action de M. Kuroda à la tête de la BoJ.
Son impopularité risque aussi de rejaillir sur l'exécutif au Japon, sensible à la grogne de l'opinion publique face à la chute du yen et faisant face à des élections à la Chambre haute du Parlement le 10 juillet.
M. Kuroda a mis un peu d'eau dans son vin ces derniers jours. Il a admis lundi qu'une dépréciation "rapide" du yen était "négative" pour l'économie. En outre, la BoJ et les autorités financières japonaises ont assuré vendredi dernier qu'elles prendraient des "mesures appropriées si nécessaire" contre le plongeon du yen, sans préciser lesquelles.
La BoJ va devoir concevoir un nouveau plan "rapidement" car sa situation actuelle est "intenable", a estimé Alicia Garcia Herrero, chef économiste de Natixis en Asie-Pacifique dans une note publiée jeudi.
"La chute brutale du yen érode les revenus réels disponibles, affectant la consommation" au Japon, et avec la flambée de leurs coûts d'importation les entreprises locales n'ont pas beaucoup de marge pour augmenter les salaires, a-t-elle relevé.
afp/jh