Depuis le XIXe siècle, l’économie allemande repose sur deux piliers : l’industrie et les exportations. Après 1945, cette stratégie a été au cœur du "miracle économique allemand". Contrairement à d’autres pays, Berlin a misé sur une compétitivité "hors prix" : produits haut de gamme, innovation, main-d’œuvre qualifiée et bien rémunérée.
Ce modèle a permis de maintenir un niveau de vie élevé tout en restant compétitif à l’échelle mondiale. Très tôt, les industriels ont externalisé les tâches à faible valeur ajoutée, d’abord en Europe de l’Est, puis en Asie. Autrement dit, l’Allemagne ne s’est pas seulement bâtie sur les exportations, mais aussi sur les importations et la sous-traitance. Une dépendance structurelle qui fait aujourd’hui sa faiblesse.
Exportations allemandes en dollars de 1955 à 2025 (Source : Fred.stlouisfed.ord )
La souveraineté, une lame de fond qui bouscule le modèle allemand
Evolution du PIB réel allemand de 1990 à 2024 (Source : Fred.stlouisfed.org )
Le constat est brutal : depuis 2018, l’économie allemande ne progresse plus. La crise du COVID a révélé la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Marc Saxer dans une étude pour la Fondation Friedrich Ebert en parlant de l’impact du COVID : “l’ère du néolibéralisme, donc la primauté des intérêts du marché devant tous les autres intérêts sociaux et sociétaux, touche à sa fin”. On assiste à une remise en question des dépendances économiques, avec en toile de fond une montée des discours souverainistes.
La souveraineté est à tous les étages depuis 2020, la "souveraineté" est devenue un mot-clé dans les discours politiques : énergétique, technologique, agricole... Et les politiques économiques occidentales suivent cette logique de repli stratégique.
L’énergie, talon d’Achille : après l’abandon du nucléaire en 2011, l’Allemagne s’est appuyée sur le gaz russe bon marché en attendant la montée en puissance des renouvelables. En 2021, 55% du gaz allemand venait de Russie (17% pour la France), 50% du charbon et 34% du pétrole. Mais la guerre en Ukraine a tout changé : les sanctions sont arrivées, les prix ont explosé. Résultat : les industries les plus énergivores, comme la chimie, ont été lourdement touchées. Exemple : BASF, leader mondial du secteur, a vu ses profits chuter entre 2019 et 2022.
L’impact des tensions actuelles
Croissance trimestrielle allemande sur les 12 derniers trimestre (Source : Trading economics )
Nous voici en 2025, et la locomotive européenne reste à l’arrêt : depuis le deuxième trimestre 2023, l’Allemagne n’a pas renoué avec la croissance. Quelques mois avant que Donald Trump ne relance les tensions sur le commerce mondial, Berlin annonçait encore 0,8% de croissance pour 2025.
- Les États-Unis, premier partenaire commercial de l’Allemagne depuis 2023, changent de cap. Le ministre de l’Économie allemand estime que les choix américains pourraient coûter jusqu’à 0,5 point de croissance au pays en 2025. Après 33 années d’excédents commerciaux avec Washington, c’est une rupture brutale.
- d’un côté la Chine qui devient un acteur majeur de l’automobile et dont la demande pour les moteurs allemands s'essouffle violemment. De l’autre les taxes de 25% sur les exportations vers les USA qui souhaitent protéger leur industrie. Et enfin la difficile transition des constructeurs connus pour leurs moteurs rugissant vers l’électrique dans une Europe où 60% des voitures neuves immatriculées sont électrifiées.
- L’Asie redirigera ses flux : selon l’OMC, les exportations chinoises vers l’Europe devraient bondir de 6%. Emmanuel Macron prévient également : “Sur beaucoup de secteurs, on va être confronté à des surcapacités sud-asiatiques qui vont rediriger leur flux vers l’Europe. Ce sont des mécanismes qui vont avoir sur certaines de nos filières des conséquences qui peuvent être massives”.
En clair, l’Allemagne se retrouve prise en étau par ses deux principaux partenaires commerciaux. D’un côté, la Chine, qui peine encore à sortir d’une crise qui a durement limité la demande interne de biens étrangers. Elle devient en outre un concurrent sérieux, notamment sur le terrain technologique. De l’autre, les États-Unis, désormais moins accueillant et qui feront encore souffrir les exportateurs allemands avec la baisse du dollar.
Résultat : en 2025, l’économie allemande reste à l’arrêt. La croissance attendue pour 2026 plafonne à 1%. L’Allemagne, qui a longtemps prospéré grâce à la mondialisation, en subit aujourd’hui les revers. Pour rebondir, Berlin mise sur un plan de relance de 500 milliards d’euros. Une rupture culturelle pour un pays attaché à la rigueur budgétaire, qui a accumulé du retard en matière d’énergie, de technologie et d’infrastructures. Le fameux “frein à la dette” – plafonnant le déficit à 0,35% du PIB – sera contourné temporairement. Reste à patienter : les premiers effets ne sont pas attendus avant 2026.