BASF est directement impacté par le risque de récession global qui plane sur l’économie mondiale. La moitié de son profit d'exploitation découle des activités de chimie traditionnelle, dites “bulk”, à distinguer des activités de chimie de spécialité plus lucratives. Dans ces activités de chimie traditionnelle, la fixation des prix est largement déterminée par l’offre et la demande. Or, la dernière décennie de taux bas a incité les grands groupes chimiques à augmenter leurs capacités, si bien qu’on est désormais dans une situation de surabondance de l’offre par rapport à la demande, d’autant plus avec le risque de récession qui plane. 

Par ailleurs, ces activités dites “bulk” sont directement impactées par la hausse du coût de l'énergie, ce qui réduit la demande et comprime les marges de BASF. 

Un cinquième du chiffre d'affaires de BASF est aussi directement dépendant de l'industrie automobile, un secteur lui aussi très cyclique. Bref, BASF est surexposé à un potentiel ralentissement. 

Le groupe allemand a entrepris il y a quelques années de moderniser son portefeuille pour s'orienter vers des activités à plus forte valeur ajoutée (par exemple pour fournir les produits chimiques nécessaires à la conception de batteries automobiles ou des engrais de pointe) mais la transition d’un mastodonte industriel de cette taille (des dizaines de milliards d'immobilisations) ne peut être qu'un très long processus. 

BASF est aussi le principal actionnaire de Wintershall Dea (BASF possède les deux tiers du capital, tandis que le milliardaire russe Mikhaïl Fridman contrôle l’autre tiers via LetterOne). Wintershall est un producteur d'hydrocarbures allemand avec une large partie de ses actifs en Russie. Évidemment, cela laisse un gros doute sur la valeur de ses actifs dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine. 

Nous avons là les parfaits ingrédients d’une bonne tempête. En même temps, BASF a un peu parié la ferme sur deux zones géographiques compliquées : la Russie mais aussi la Chine, qui représentera à la fin de la décennie la moitié du marché mondial de la chimie. 

Si on prend une vue plus large de “Deutschland AG” ; l’industrie allemande, telle qu'on la surnomme, n'est vraiment pas en bon état. Les constructeurs automobiles doivent investir des sommes si colossales dans la transition vers les véhicules électriques (EV) que l’on peine à comprendre comment ils pourront un jour rentabiliser ces investissements (cf : Le pump du secteur automobile va-t-il durer ?). Des grands noms comme ThyssenKrupp ou Bayer peinent à rationaliser leurs opérations. Le secteur financier est en ruines après les déboires à répétition des banques allemandes telles que Deutsche Bank. Les grands énergéticiens comme Eon et Uniper sont en banqueroute. Et on ne parle pas de Wirecard, scandale qui est un peu l'arbre qui cache la forêt. 

Bref, pour en revenir à BASF sur le dernier cycle (les dix dernières années 2011-2021) le groupe a généré 40 milliards de profits cash (free cash flow). Nous rappelons que le cash flow libre est une mesure de profitabilité plus pertinente que le profit comptable (résultat net) en général mais en particulier dans ce cas présent puisque chez BASF, les amortissements et les dépréciations sont inférieurs au CAPEX. 

La quasi-totalité de ces profits cash ont été retournés en dividendes. 

Un dividende en augmentation constante

Source : Rapport Annuel 2021 de BASF 

Quant au reste (environ ⅙), il a servi à des acquisitions. Il y a eu en effet 17 milliards d’euros d’acquisitions et 11 milliards d’euros de cessions/désinvestissements, ce qui fait bien 6 milliards d’euros à compléter par le profit cash. 

Les acquisitions récentes

Source : Rapport Annuel 2021 de BASF 

Nous ne remarquons pas de rachats d'actions, ce qui semble justifié au regard de la valorisation du titre ces dernières années. Le groupe a préféré payer ses actionnaires que racheter ses titres qui étaient surcotés au cours du dernier cycle. D’autant plus qu’au vu de son levier financier, cela aurait été vraiment déraisonnable de réduire les capitaux propres. Un programme de 3 milliards d’euros a cependant été lancé pour racheter des actions en 2022 et 2023. 

Cette capacité bénéficiaire sur le dernier cycle (40 milliards d’euros) est à comparer à la capitalisation boursière actuelle. A 45€ l'action, la capitalisation boursière est de 40 milliards d’euros. Sur le papier, cela pourrait presque commencer à devenir intéressant au vu des profits cash réalisés mais ce n’est peut être pas suffisant pour avoir une réelle marge de sécurité sur ce genre de valeur cyclique. D’autant plus que le contexte macro-économique est bien moins évident pour BASF sans l’énergie abondante et bon marché en provenance de Russie. Personne ne peut dire si BASF pourra faire aussi bien sur la prochaine décennie sans des volumes suffisants d'électricité disponibles à des prix compétitifs. 

De toute façon, il ne faut pas se tromper quand on étudie un dossier comme BASF. Ce n’est pas une entreprise en croissance, au contraire c'est presque un service aux collectivités sans croissance. En dépit d'un raté en 2019 et 2020 (imputé à l'époque à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis en 2018 puis à la crise sanitaire du Covid-19 en 2020), le groupe délivre de manière plus ou moins récurrente entre 6 et 8 milliards d’euros de résultat d'exploitation par an. 

Source : Zonebourse 

Sauf que la dette nette est égale à trois fois ces montants. Autrement dit, la société utilise un levier financier assez important, d’autant plus que si les marges se compressent à cause de l’effet ciseau sur le coût de l'énergie et la baisse des prix causée par l’offre excédentaire, cela peut vite se compliquer pour la suite. 

Nous observons que les capitaux propres par action ont doublé sur la dernière décennie, mais pas les profits cash, ce qui signifie que la rentabilité décline nettement. La hausse du levier financier a servi à masquer cette contre-performance. Comme une évidence, il y a quelque chose de pourri au royaume du BASF. 

Le leader mondial de la chimie est cependant généreux avec ses actionnaires en leur versant un dividende de 8% par an. Finalement, le titre BASF s’envisage presque comme une obligation avec un call option si il n’y a finalement pas de récession mondiale. Chacun jugera en fonction de son profit et de son risque. 

Conclusion 

Gardons à l’esprit que le secteur chimique dans son ensemble est sûrement en haut de cycle après une décennie tout à fait inhabituelle de coûts de financements bas, sorte d'anomalie historique, qui ont dopé les marges et permis d'investir dans de nouvelles capacités. Les leviers opérationnels sont tels que les gueules de bois sont toujours douloureuses dans le secteur. Nous avons vécu dix ans de conditions faciles, mais est-ce que BASF saura se débrouiller aussi bien sur la prochaine décennie ? A ce titre, la baisse prononcée des cours de BASF et de ses petits copains (à l’image de Covestro en Allemagne), n’est peut-être pas un krach mais simplement une normalisation ? L’avenir nous le dira. 

Polar chart des notations relatives Zonebourse 

Source : Zonebourse