Sur le papier, le montant des liquidités disponibles — trésorerie et bons du trésor américain — devrait approcher un record de $200 milliards ces jours-ci, gonflé notamment par la cession durant le deuxième trimestre d’une moitié de la participation de Berkshire dans Apple.
Une telle thésaurisation s’accompagne naturellement de toutes sortes de rumeurs et suppositions, à commencer par celles qui soutiennent que l’oracle d’Omaha anticipe une violente correction des marchés. Ceci malgré ses innombrables démentis d’hier et d’aujourd’hui, puisque l’intéressé, on le sait, s’est toujours défendu d’avoir tenté de « timer » le marché.
Au-delà de la démesure des chiffres, la position de liquidités de Berkshire prise dans sa totalité représente actuellement 17% des actifs du groupe. C’est certes considérable, mais finalement pas tellement au-dessus d’une moyenne à trente ans qui elle oscille entre 12 et 15% du total des actifs.
Ensuite, toutes ces liquidités ne sont pas entièrement libres et déployables. Les opérations de réassurance de Berkshire, qui font part belle aux contrats dits « super-cats » — des catastrophes majeures, improbables mais extrêmement coûteuses lorsqu’elles surviennent — obligent en effet le groupe à provisionner d’importantes réserves.
Warren Buffett a lui-même évoqué une provision permanente d’au moins $30 milliards. Il ne semble pas déraisonnable de supposer qu’un coussin supplémentaire de $20 milliards ne serait pas de trop, a fortiori si Berkshire fait face à une sinistralité imprévue, ou si le volume de primes augmente d’un coup. Ce serait ainsi $50 milliards qui se retrouveraient retenus.
Il en va de même dans les activités hyper-capitalistiques et régulées du conglomérat, par exemple dans les chemins de fer et l’énergie avec BNSF et MidAmerican Energy, où Berkshire doit pouvoir répondre à des enjeux d’investissements majeurs et possiblement soudains.
Les $5.5 milliards de trésorerie retenus au bilan de ces filiales apparaissent ici comme un strict minimum. En réalité, on pourrait sans peine supposer que le groupe aurait intérêt à en retenir au moins deux fois davantage. Voici donc pas loin d’un tiers des liquidités virtuellement immobilisées...
Enfin, l’univers d’investissement de Berkshire est devenu extrêmement restreint. Pour rester dans sa toujours très folklorique phraséologie, Warren Buffett pratique la chasse à l’éléphant — c’est-à-dire qu’il traque seulement des cibles d’acquisition massives.
Qu’on se figure à cet égard que les filiales de Berkshire — hors participations cotées donc — réalisaient l’an dernier un profit cumulé de $27 milliards. Un nouvel investissement de $30 milliards qui rapportait un rendement de 9% — soit une performance plus qu’honorable — n’ajouterait que $2.7 milliards à cette capacité bénéficiaire, c’est-à-dire un dixième supplémentaire.
Cet univers ne concerne finalement qu’un petit groupe de grandes entreprises américaines. Parmi celles qui sont cotées, les inefficiences de marché sont très rares, et la concurrence des autres investisseurs institutionnels immédiate et féroce. Par ailleurs, Berkshire, on le sait, privilégie les opportunités où il peut exercer un contrôle ; ceci limite encore davantage le champ des possibles.