Deux géants en trajectoires divergentes
Shell et BP étaient autrefois des rivaux de taille équivalente, dotés d'une influence mondiale similaire. Mais leurs trajectoires ont divergé ces dernières années. Depuis janvier 2024, l’action BP a perdu plus de 25%, tandis que les cours du pétrole restent déprimés depuis leur chute d’avril.
BP, contrairement à Shell, a publié ce trimestre en dessous des attentes, avec une baisse de 48% de son bénéfice. BP a surtout ralenti son programme de rachat d’actions.
Dans le même temps, d’autres majors, comme ExxonMobil ou TotalEnergies, affichent de meilleures performances et des rachats plus agressifs.
La transition ratée de BP
Sous la direction de Bernard Looney au début des années 2020, BP avait amorcé un virage ambitieux : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’opération s’est révélée coûteuse et peu rentable. Le groupe a investi massivement dans les énergies à faibles émissions, tout en réduisant son activité d’exploration. Résultat : une rentabilité en berne, plombée par la hausse des coûts et des taux d’intérêt.
Après une chute de près d’un tiers de sa valorisation, BP a revu sa copie. Les objectifs climatiques ont été abandonnés, et le groupe a opéré un net retour au pétrole. Son nouveau patron, Murray Auchincloss, a lancé un plan de réduction des coûts, avec notamment la suppression de 5% des effectifs annoncée en début d’année.
Mais alors que les investisseurs espéraient des signaux de redressement, le cours du pétrole est reparti à la baisse. Les perspectives pour 2025 s’annoncent moroses.
Des actionnaires de plus en plus pressants
Dans ce contexte, BP doit aussi composer avec la pression de deux fonds activistes, Elliott Management et Bluebell. Le premier, connu pour ses interventions musclées, détient plus de 5% du capital. Tous deux réclament un recentrage sur les activités pétrolières, comme l’ont déjà fait Shell et TotalEnergies précédemment.
Shell en position de force
Une fusion entre Shell et BP aurait plusieurs justifications stratégiques. Shell dispose des moyens nécessaires, avec une capitalisation de 198 milliards d’euros, contre 72 pour BP. Son niveau d’endettement est au plus bas depuis dix ans, ce qui lui donne une marge de manœuvre confortable.
Shell pourrait aussi profiter du savoir-faire de BP dans le trading de matières premières. Son bureau de négoce, fort de 3 000 traders, est l’un des plus performants au monde. L’importante présence de BP aux Etats-Unis permettrait au groupe de retrouver une exposition aux Etats-Unis.
Enfin, depuis son déménagement de La Haye à Londres en 2022, Shell pourrait compter sur un soutien implicite du gouvernement britannique, soucieux de préserver un champion national face à d’éventuelles offres étrangères.
Chevron en potentiel concurrent ?
Un autre candidat potentiel au rachat de BP est Chevron. Le géant américain, basé à Houston, voit son projet de rachat de Hess (53 milliards de dollars) compromis par des incertitudes juridiques. Si l’opération échoue, BP pourrait constituer une alternative crédible dans sa stratégie d’expansion mondiale.
Chevron a plusieurs fois exprimé son intérêt pour la croissance externe. Une fusion avec BP pourrait mieux coller à son profil qu’à celui de Shell. (vous pouvez retrouver ici un article du mois dernier concernant la stratégie de Shell).
Interrogé par le Financial Times, le patron de Shell, Wael Sawan, a assuré que la priorité restait la discipline financière et le rachat d’actions, tout en précisant que le groupe restait à l’affût d’opportunités “inorganiques”.
Une cible de longue date
BP n’en est pas à sa première rumeur de fusion. Depuis des années, la société est régulièrement citée comme cible de choix pour une méga-opération. Cette année encore, 6 des 50 experts interrogés par Bloomberg sur les perspectives de fusions en Europe ont désigné BP comme cible prioritaire pour 2025.
Shell, de son côté, ne semble pas pressé. Plusieurs sources proches du dossier estiment que le groupe attend un éclaircissement du contexte : confirmation d’un éventuel acquéreur et poursuite de la baisse du cours de BP.