Carrefour dégringole à nouveau en bourse, reculant de 3,86% à 16,44 euros, alors que le projet de rachat par le groupe canadien Alimentation Couche-Tard prend une tournure diplomatique. Hier soir, le ministre québécois de l'Economie, Pierre Fitzgibbon, a révélé que la Belle Province était en contact avec l'Elysée pour se rapprocher sur le sujet. Alors que se son côté, Bruno Le Maire, le ministre français de l'Economie, a répété aujourd'hui, pour la troisième fois au moins depuis mercredi, son opposition au projet sur l'antenne de BFM TV.

Alstom/Bombardier, Couche-Tard/Carrefour: échange de bons procédés

Face à des journalistes de son pays, Pierre Fitzgibbon a estimé que Couche-Tard pourrait être un "bon propriétaire" de Carrefour, invoquant comme exemple le cas d'Alstom et Bombardier, comme s'il s'agissait d'un échange de bons procédés.

Soucieux de ne pas froisser les relations franco-canadiennes, Bruno Le Maire a résumé sa position par "un 'non' courtois, mais clair et définitif". "Nous ne sommes pas favorables à cette opération, nous le disons avec beaucoup de respect pour Couche-Tard, pour Carrefour et pour tous ces opérateurs qui sont de grande qualité", a ajouté le ministre, toujours préoccupé par la sécurité alimentaire des Français.

"Nous avons l'instrument juridique à notre disposition, je préfère ne pas avoir à l'employer", a également averti Bruno Le Maire. Il fait ainsi référence à la loi Pacte qui, depuis 2019, soumet les investissements étrangers en France à une procédure d'autorisation préalable dans certains secteurs stratégiques. Le gouvernement français peut ainsi s'opposer dans certains cas à l’acquisition par un investisseur étranger d'une participation supérieure à 25% du capital d'une entreprise française.

Les dirigeants de Couche-Tard déjà à Paris pour négocier

Pourtant, selon des informations divulguées par Bloomberg, le ministère des finances serait en réalité prêt à étudier une proposition, une fois que celle-ci aura été officiellement présentée par la partie canadienne. L'agence de presse américaine ajoute que le gouvernement français prévoit de prendre tout son temps pour évaluer l'impact d'une telle opération, notamment sur l'emploi.

Le directeur général de Couche-Tard, Brian Hannasch, et d'autres cadres du groupe, seraient d'ores et déjà arrivés à Paris pour négocier avec la direction de Carrefour sur les conditions d'un éventuel rachat. Toujours selon les oreilles indiscrètes de Bloomberg, en plus du montant de l'offre évoqué mercredi de 20 euros par action, les Canadiens s'engageraient à injecter 3 milliards d'euros sur 5 ans, à maintenir l'emploi pendant 2 ans, et à conserver le siège et la cotation de Carrefour en France, avec une cotation secondaire au Canada.

Les analystes sceptiques face au projet de rachat

La plupart des analystes montrent un certains scepticisme devant ce projet de fusion, même s'ils reconnaissent qu'il est encore bien trop tôt pour juger s'il aboutira ou non. Ils se montrent également surpris par la vive émotion que celui-ci suscite du côté des autorités françaises.

Moody's a indiqué qu'il était encore trop tôt pour juger de l'impact de crédit en raison du peu de détails sur la structure du capital et la stratégie d'entreprise à long terme de Couche-Tard. L'offre de 20 euros par action Carrefour, représentant un multiple de 7x la valeur d'entreprise sur l'EBITDA ajusté, est en revanche cohérente avec les précédentes acquisition du groupe québécois, précise l'agence de notation.

Invest Securites a quant à lui clairement pris parti pour Bruno Le Maire. Après une longue note publiée hier interrogeant la pertinence de ce rapprochement, le broker en a rajouté une couche aujourd'hui: "il y avait des dizaines de cibles potentielles susceptibles de faire l'affaire aux USA, débouché principal du canadien pour lui permettre d'activer des relais de croissance, écrit l'analyste. Et il aurait choisi in fine Carrefour pour le bien-fondé de sa stratégie et de ses résultats. Difficile d'y croire. De notre point de vue, cette opération ne doit pas se faire". De plus, Invest Securities a mis son opinion sous revue et suspendu son objectif de cours, "car le risk reward devient difficile à jauger".

Enfin, UBS a estimé que la valorisation du titre Carrefour d'aujourd'hui intégrait une probabilité de 20% environ que l'opération aboutisse, contre environ 40% hier. La banque suisse a ajouté que si les discussions entre les deux groupes sont constructives en ce qui concerne la vision et la stratégie de long terme, et que le prix proposé est correct, ceux-ci pourraient calmer les inquiétudes du gouvernement français pour finaliser leur rapprochement. En attendant, les 20 euros par action illustrent bien la sous-valorisation du titre Carrefour, sur lequel UBS a conservé sa recommandation d'Achat (avec un objectif de cours à 17 euros).