Pour être franc, le propos n'est pas très innovant. Comme nombre de confères, l'équipe chargée de la distribution chez Berenberg (Michelle Wilson, Dusan Milosavljevic, Oliver Anderson) pense que Carrefour est à une étape charnière, qu'il possède des atouts mais que la mue sera longue. L'approche sectorielle est malgré tout intéressante. La banque allemande rappelle que, dans la distribution alimentaire, les investisseurs cherchent le frisson du dossier en retournement. Avec comme jurisprudences Tesco au Royaume-Uni ou Target et Walmart aux Etats-Unis. A première vue, Carrefour coche toutes les cases, en particulier un management apprécié prêt à casser les codes et des marges inférieures à la moyenne du secteur, qui laissent a priori du potentiel d'amélioration purement interne.
 
Si Berenberg est en phase avec les initiatives prises par la direction et pense même qu'il pourrait y avoir une embellie cette année, il juge aussi que les défis structurels sont nombreux et que le redressement ne prendra pas la pente ascendante et régulière que certains investisseurs semblent anticiper. La nouvelle loi française basée sur les Etats Généraux de l'Alimentation n'a pas eu l'effet anticipé par les spécialistes, du moins côté distributeurs. Les leaders en matière d'image-prix, Leclerc et Lidl, n'ont pas été contraints de rattraper les tarifs pratiqués par la concurrence. "Ce qui est particulièrement préoccupant pour Carrefour est que les enseignes avec une stratégie de prix bas permanents, comme Leclerc et Lidl, ont même amélioré leurs performances depuis l'introduction de la loi, aux dépens des distributeurs qui, comme Carrefour, dépendent davantage des promotions", explique le trio d'analystes. Une situation douloureusement illustrée par l'évolution récente du positionnement prix de Leclerc par rapport à ses rivaux, dans le graphique qui suit, qui ne souffre aucune contestation :
 
 
 
Compte tenu de ce quasi-statu quo sur le très complexe marché français, Berenberg écrit donc que Carrefour doit surtout s'appuyer sur ses propres forces pour améliorer sa situation. Or le potentiel est là : avec 4,4% de marge d'Ebitdar, la filiale française est 15e sur 17 distributeurs européens suivis par le bureau d'étude, très loin de Colruyt (1er avec 8,6%) et assez près de Supervalu (dernier avec 3,5%). Les efforts entrepris par Carrefour sont d'ailleurs assez proches de ceux qui ont permis à Tesco de relever la tête (économies et efficacité dans la logistique, les opérations en magasins, les achats, le personnel). Mais pour la banque, il lui faut désormais accélérer ses investissements pour améliorer son image auprès des clients. Image qui n'est actuellement pas si mauvaise, mais le croirez-vous, assez nettement en-deçà des deux enseignes préférées de Français (cf. graphique qui suit). La reconquête en France est d'autant plus importante que le moteur brésilien va se frotter bientôt à des bases de comparaison plus ardues, qui vont rogner sur le rythme de croissance, tandis que l'Europe hors France ne fait guère d'étincelles.
 

I Can't Get No... (Source Berenberg avec YouGov)
 
En conclusions, Berenberg reste en position d'attente, estimant qu'à 17 EUR, le dossier est un peu cher pour jouer un retournement qui s'annonce long. "Certes, les résultats du 1er semestre 2019 pourraient constituer un catalyseur positif, mais nous pensons que la valorisation actuelle ne prend pas en compte tous les risques liés au redressement", concluent les analystes, qui préfèrent largement le second dossier dont ils entament la couverture ce matin, le portugais Jeronimo Martins (mais qui réalise 70% de ses revenus en Pologne), initié à l'achat avec un objectif de 17,10 EUR.