-7% au compteur après la publication des résultats 2024 : Carrefour n'a pas séduit les investisseurs. Ni avec les incantations du PDG Alexandre Bompard, quand il a rappelé hier soir en conférence téléphonique que "sur le marché français, affecté par une baisse des volumes de consommation, Carrefour France a réalisé une année remarquable". Ni avec l'annonce d'un dividende de 1,15 EUR, dopé par une distribution exceptionnelle, offrant un rendement de 9% (!) sur les cours du jour (12,73 EUR en séance). Ni avec la promesse d'une "revue de son portefeuille d'actifs".

On voit bien que le groupe joue sur plusieurs leviers pour maintenir un certain équilibre : optimisation des coûts, recentrage stratégique et pari sur des régions porteuses comme le Brésil. Pourtant, le marché français demeure un poids difficile à alléger, avec une guerre des prix qui ne faiblit pas face à un Leclerc toujours plus conquérant. Malgré un free cash-flow relativement solide, les marges sous pression et la faible visibilité sur 2025 donnent du grain à moudre aux analystes sceptiques.

Notations
Les Notations Surperformance dépeignent un dossier très peu valorisé sur les standards habituels, mais qui continue à réviser en baisse ses prévisions

Les indications fournies par le management devraient pousser les analystes à réduire assez nettement (10 à 15%) leurs ambitions pour 2025. Tant que Carrefour ne prouvera pas sa capacité à redresser durablement ses marges, la valorisation actuelle du titre ne sera pas un levier suffisant pour attirer les investisseurs, résume cruellement un analyste ce matin. De l'action décotée à la value trap, il n'y a qu'un pas, comme nous le rappelions dernièrement.

Déjà-vu

Face à ces défis, Carrefour accélère la rationalisation de son portefeuille d’activités. La première étape majeure de cette stratégie a été l’annonce du rachat des parts des actionnaires minoritaires de sa filiale brésilienne, Grupo Carrefour Brasil, afin d’en prendre le contrôle total. Par ailleurs, le groupe poursuit son plan d’économies avec un nouvel objectif de réduction des coûts de 1,2 milliard d’euros en 2025. Reste à voir si cette discipline budgétaire suffira à compenser l’atonie du marché français et la pression concurrentielle.

Les deux dernières décennies apportent un éclairage édifiant sur les difficultés de Carrefour. Depuis vingt ans, le distributeur subit une stagnation de son chiffre d’affaires, et même une érosion en valeur réelle si l’on tient compte de l’inflation. La compression des marges, résultat d’une guerre des prix incessante en France, grève la rentabilité et pousse le groupe à multiplier les efforts de réduction de coûts.  L’évolution vers un modèle plus orienté vers les magasins franchisés et de plus petite taille a permis d’améliorer la génération de cash-flow ces dernières années. Mais ce modèle atteint aussi ses limites.

Le verdict du marché est sans appel : la capitalisation de Carrefour est descendue à 9 milliards d'euros après les chiffres publiés ce matin, loin, très loin de ses rivaux européens comme Ahold Delhaize et Tesco (qui capitalisent environ 31 milliards d'euros chacun). L'action se rapproche à nouveau de son niveau le plus faible des 30 dernières années, touché au mois de mai 2020 à 12,10 EUR.

TR

Même en intégrant les dividende dans le parcours boursier, la contreperformance est flagrante sur 10 ans (Source Zonebourse)

Pour relancer la machine, un électrochoc semble indispensable. Est-ce l'objet de cette "revue de son portefeuille d'actifs" ? Probablement. Les analystes pensent que le distributeur pourrait se séparer de filiales en mauvais état, par exemple en Italie ou en Pologne. Cela ne réglerait pas l'épineux problème du marché français, mais cela permettrait de réorienter un peu l'histoire boursière.

Reste le serpent de mer du marché, une acquisition ou un cession. L’échec du rapprochement avec le canadien Alimentation Couche-Tard en 2021, bloqué par le gouvernement français pour des raisons contestables, laisse planer des incertitudes sur la possibilité pour Carrefour de trouver un partenaire stratégique. Quant à passer à l'offensive, la faiblesse actuelle de la valorisation limite les possibilités : il ne faudrait pas qu'après avoir été malmenés, les actionnaires se retrouvent embarqués dans une transaction qui cimenterait leurs pertes !