Ces trois dernières années, le secteur de la distribution en Europe a affiché des parcours très disparates. Le britannique Tesco est à créditer d'une bonne performance (+39% hors dividendes, +54% dividendes inclus), mais c'est à peu près le seul qui se distingue par rapport au STOXX Europe 600 sur la période (+10%). Dino Polska aurait pu postuler, mais la star polonaise a connu un sévère trou d'air dernièrement, qui a largement entaché son beau parcours.
Casino a volontairement été exclu du comparatif, pour ne pas encourager la pornographie boursière
Descente aux enfers
Le plus frappant, quand on étudie la liste des acteurs cotés du secteur, c'est le déclassement du français Carrefour. L'action a perdu la moitié de sa valeur en dix ans (-28% en intégrant les dividendes). Ramenée en dollars, le dossier capitalise à peine 10,2 milliards de dollars. C'est moins que Ahold Delhaize (31 Mds$), Tesco (30 Mds$) et même Jeronimo Martins (11,5 Mds$). Le rapport entre la valeur d'entreprise et le chiffre d'affaires de Carrefour est totalement déprimé, à 0,22 fois. C'est deux fois moins qu'Ahold Delhaize et Tesco, par exemple, et quatre fois moins que Walmart. D'ailleurs, le groupe américain est un peu seul au monde avec ses 590 milliards de dollars de capitalisation : c'est plus que la somme du poids boursier de ses 25 concurrents cotés les plus proches ! Dire qu'il y dix ans, Carrefour était présenté comme le dauphin mondial de l'Américain…
Un secteur qui bouge (un peu)
La distribution est revenue au cœur des discussions cette semaine après l'annonce d'une offre de rachat du japonais Seven & i Holdings par le canadien Alimentation Couche-Tard. Ce dernier avait déjà tenté sa chance en 2021 avec Carrefour, puis avec le britannique EG Group, avant de finalement conduire une opération moins ambitieuse avec TotalEnergies, dont il avait récupéré les stations-service en Allemagne et au Benelux. L'opération avec Carrefour n'avait pas pu être étudiée en profondeur à cause de l'opposition du gouvernement français, qui avait promis de bloquer toute transaction pour des motifs de souveraineté. Le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, était en désaccord profond avec cette position, mais il n'avait pas voulu aller au combat contre le gouvernement.
A ce stade, les analystes ont une approche prudente de l'opération entre Alimentation Couche-Tard et Seven & I, qui pourrait créer le numéro mondial des magasins de proximité, avec environ 100 000 emplacements dans le monde. Si Couche-tard a confirmé une approche amicale, aucun élément de prix n'a été divulgué. Le marché reste donc prudent, d'autant, comme le souligne un analyste de BMO, qu'il pourrait y avoir un risque antitrust aux Etats-Unis et que les synergies avec le Japon ne sont pas claires à ce stade. En outre, le Canadien est bien plus petit que le Japonais, même si sa valorisation est nettement supérieure grâce à une gestion reconnue comme particulièrement efficace. Mais revenons à notre mouton.
Carrefour, des efforts pas payés en retour
La méforme de Carrefour s'éternise alors même que le management a procédé à une nouvelle lourde restructuration. Le problème, récurrent depuis vingt ans, est que les améliorations internes font moins que compenser la pression externe. Le groupe évolue depuis plusieurs années dans un contexte concurrentiel extrêmement tendu du fait de la guerre des prix qui sévit en France sur ses principaux compartiments. Le modèle des hypermarchés est en perte de vitesse et les rivaux se sont multipliés, notamment les enseignes étrangères à bas prix. Contrairement à plusieurs autres grands marchés européens, la distribution alimentaire est peu concentrée en France, ce qui exacerbe la concurrence. Les acteurs qui ne parviennent pas à s'adapter disparaissent, comme l'illustre la lente agonie de Casino.
Pour les actionnaires, le dossier est un long chemin de croix. La fusion avec Promodès à l'aube du nouveau millénaire est un cas d'école de destruction de valeur. La graphique boursier depuis l'opération est particulièrement cruel :
Depuis la fusion Carrefour Promodès…
Pas bien cher, mais pas bien enthousiasmant non plus
Carrefour, qui a fait le choix il y a une quinzaine d'années d'une stratégie fondée sur les franchisés, est actuellement confronté aux limites de ce modèle. Les prévisions d'évolution des marges sur l'exercice en cours et les suivants montrent que le secteur est sous pression et qu'il y a peu de place pour l'imprévu.
Source Zonebourse / S&P Capital IQ au 21/08/2024
Ces perspectives modestes ne permettent pas au titre de s'extirper de ratios de valorisation parmi les plus faibles du secteur, comme l'illustrent les données qui suivent. Hormis au niveau du rendement du dividende, le distributeur français est largement sous la moyenne.
On a du mal à s'enthousiasmer pour le dossier, qui semble avoir fait du surplace ces dernières années. D'ailleurs, la relecture d'un papier datant de cinq ans presque jour pour jour montre que rien n'a vraiment changé.
"Fallait pas l'inviter" raconte l'histoire d'entreprises qui traversent une passe compliquée en bourse. Sait-on jamais, elles pourraient s'en remettre ! Les derniers articles de la rubrique :