Un peu d’histoire pour commencer. Chargeurs est né de la fusion entre deux sociétés cotées - Pricel et Chargeurs Réunis - dans les années 1980. Le groupe a longtemps été dirigé par Jérôme Seydoux et détenait, entre autres, les cinémas Pathé et le journal Libération. Il a aussi participé à l’aventure de la défunte chaîne de télévision La Cinq aux côtés de Silvio Berlusconi.

Mais cette parenthèse dans l’univers des médias et de l’audiovisuel est désormais de l’histoire ancienne et Chargeurs, dans sa configuration actuelle, est le fruit de la réorganisation née dans l’esprit de l’actuel PDG, Michaël Fribourg, qui détient aujourd’hui 26,7% des parts du capital via sa holding Colombus. 

Un portefeuille d’activités qui s’élargit

Chargeurs est divisé en deux pôles : la Technologie et le Luxe, qui ont ensemble généré 737 M€ de revenus en 2021 pour 79,9 M€ d’Ebitda bruts, auxquels sont retranchés 6,1 M€ de frais de structure (soit 73,8 M€ d’Ebitda net).

Les métiers de Chargeurs (Source : Chargeurs)

Dans la Technologie, se côtoient les deux principaux métiers du groupe : 

  • Chargeurs Advanced Materials (46% des revenus, 46% de l’Ebitda), qui fabrique des solutions de protection pour les surfaces fragiles, est organisée sous la marque Novacel. Les films sur les éléments de cuisine Ikea, les barbecues Weber, l’inox fourni par Aperam où le verre de Saint-Gobain sortent généralement de la filiale. La société est le leader mondial sur cette activité avec environ 30% des parts de marché et les ambitions se portent désormais sur la croissance aux Etats-Unis.

Les solutions de protection, l’activité n°1 de Chargeurs

Source : Chargeurs

  • Chargeurs PCC Fashion Technologies (21% des revenus, 13,4% de l’Ebitda) : là aussi un autre numéro un mondial avec 25% des parts de marché des textiles techniques et de haute performance pour la mode et le luxe, et plus particulièrement de  l’entoilage avec par exemple les chemises Boss et les vestes Ralph Lauren ou les rubans adhésifs de la lingerie La Perla.

La Technologie (Chargeurs Advanced Materials et Chargeurs PCC Fashion Technologies) représente 66% des revenus de Chargeurs.

Dans le Luxe, Chargeurs compte quatre branches, sans forcément de synergies évidentes : 

  • Chargeurs Museum Studio (8% des revenus, 11% de l’Ebitda), un acteur unique capable de proposer une offre de bout en bout pour rendre un lieu (un musée, une exposition, etc) unique et tourné vers l’expérience du visiteur. Cette activité est en pleine expansion, tirée par l’émergence de nouvelles destinations de tourisme et par la demande croissante du luxe expérimental. L'activité est encore relativement petite en taille par rapport aux poids des autres branches, mais Chargeurs y est (oui oui encore) numéro un mondial. Le carnet de commandes pour 2023 est supérieur à 130 M€ : de bon augure pour ce segment à faible intensité capitalistique puisque les investissements se limitent aux capex informatiques. 

Un pilier pour la future croissance : la muséographie

Source : Chargeurs

  • Chargeurs Luxury Fibers (12% des revenus, 1,5% de l’Ebitda), qui opère dans les fibres de laine naturelle, aussi bien pour le textile (laine Mérinos) que pour les sièges automobiles par exemple. L’entreprise dispose d’ateliers aux Etats-Unis, en Uruguay, en Argentine et en Chine où la laine est ramassée, lavée, cardée puis peignée, avant d'être vendue aux grandes marques de textile. Il s’agit de l’affaire la moins rentable, mais qui fait face à une demande immense, surtout pour les fibres durables. Pour cela, la société a obtenu le label Nativa, qui garantit la traçabilité aux clients.
  • Chargeurs Personal Care (13% des revenus, 28% de l’Ebitda), filiale lancée durant la pandémie pour fournir notamment des masques, dont la croissance a été tonitruante - en 2020 elle a notamment permis de largement compenser la baisse des autres activités avec 37% du chiffre d’affaires - mais qui est rentrée dans le rang depuis. Pour autant, le groupe entend développer cet ensemble en élargissant l’offre avec les soins personnels et le travel retail
  • Swaine, un sellier et maroquinier britannique très haut de gamme. Cette marque permet au groupe de s’adresser directement aux clients (BtoC). Cela fait partie de la nouvelle stratégie, car auparavant, Chargeurs fonctionnait exclusivement en Business to Business (BtoB). Les ambitions de chiffre d'affaires de Swaine sont portées à environ 15 M€ en 2025.

Des acquisitions pour renforcer l’édifice

L’entrepreneur Michael Fribourg et actuel PDG a su opérer une transformation au sein de la société en conservant les métiers traditionnels et en les menant vers des statuts de leader mondial, tout en développant d’autres métiers au travers d’acquisitions ciblées. Chargeurs a réalisé 15 opérations de croissance externe depuis 2015. Citons par exemple l’acquisition de Satchel, marque britannique de maroquinerie de luxe. Quant à la branche de muséographie, Chargeurs a acquis DesignPM en 2019, une entreprise britannique qui réalise de la gestion de projets pour les musées, expositions et attractions. Met Studio, qui conçoit des expositions de musées et des expériences, est venu renforcer le catalogue la même année. D&P, le leader historique des services de production aux musées, aux centres scientifiques et aux grandes expositions sur le marché américain, a été acquis en 2020. D’ici 2025, Chargeurs ambitionne de réaliser sur ce segment un chiffre d’affaires d’environ 175 M€, soit presque 2,5 fois plus qu’actuellement.

Fort stratégie d’acquisitions 

Source : Chargeurs

Les objectifs 2025 sont confirmés

Chargeurs vise le milliard de chiffre d’affaires au terme de l’exercice 2025, contre des ventes à fin 2022 estimées à 755 M€. Le résultat opérationnel de l'activité - équivalent de l’EBIT - devrait lui atteindre 100 M€ à cet horizon. La stratégie d’acquisition va se poursuivre, notamment pour développer les activités de santé et de musée. Le levier d’endettement représente déjà 1,6 fois l’EBITDA (117 M€ de dette nette) mais la génération de free cash flow a été solide ces deux dernières années (63 M€ en 2020 puis 52,4 M€ en 2021) et couvrent une bonne partie de la dette. Cependant, la génération de cash-flow n’est pas régulière dans le temps : à 20,9 M€ puis 17,8 M€ en 2016 et 2017, avant d'être négatif en 2018 puis très légèrement positif en 2019, à 2,3 M€. L’enjeu des exercices à venir sera de maintenir cette génération de cash à des niveaux corrects pour pouvoir continuer à opérer des opérations de croissance externe sans détériorer la structure du bilan de l’entreprise. 

Il faudra aussi surveiller les marges. Elles ne sont pas stables dans le temps - de 4,9% de marge nette en 2016 à 4,2% en 2021 en passant par 5% en 2020 et un creux à 2,4% en 2019 - et sont assez faibles pour un acteur qui se présente comme exerçant une grande part de son activité dans le luxe (souvent générateur de fortes marges). Pour autant, la part dans le “vrai” luxe reste encore très marginale avec Swaine, dont la contribution aux ventes est minime. 

La valeur affiche un repli de près de 50% par rapport à ses plus hauts de fin 2021. Au prix actuel, elle se paye légèrement moins cher - PER 2022 à 16,3 fois - que sa moyenne depuis la prise de contrôle par Michaël Fribourg (moyenne depuis 2015 à 18 fois la valorisation des profits). Chargeurs offre aussi un rendement confortable proche de 5% avec un dividende en forte augmentation depuis 2015 (de 30 centimes à 1,24 € par action en 2021).

La performance du titre vs l’indice CAC Mid&Small Caps

Source : Zonebourse

Les ambitions 2025 de la société semblent réalistes compte tenu de la croissance du cycle précédent : le chiffre d’affaires est passé de 499 M€ en 2015 à 737 M€ en 2021, soit une augmentation de 48%. Notons que Chargeurs n’a connu que des exercices dans le vert, même en 2020. Cette année-là, les activités liées aux textiles s’étaient logiquement effondrées, pandémie oblige, mais elles avaient été bien compensées par la filiale de santé Personal Care, grâce à la belle agilité industrielle dont a fait preuve le management. Pour 2022, le bénéfice devrait être légèrement inférieur aux années précédentes, à 22,5 M€. 

Michaël Fribourg a transformé Chargeurs en opérant des changements stratégiques majeurs. Et force est de constater que cela a bien fonctionné jusqu’ici, malgré les conditions macroéconomiques fluctuantes. Toutefois, il faudra surveiller à l’avenir le manque de synergies entre les différentes activités, qui aboutit souvent à des décotes dites “de conglomérat” sur la valorisation. 

Pour autant, l'entreprise est passée de 1 600 salariés en 2015 à plus de 2 220 en sept ans. Les objectifs à 2025 sont ambitieux dans les nouvelles activités mais sont cohérents avec le passé. Reste à réussir à stabiliser les résultats pour éviter de grosses fluctuations d’une année sur l’autre.