Les grands patrons de Wall Street et les spécialistes des fusions-acquisitions ont cherché à afficher un ton rassurant lors d'un rassemblement d'investisseurs de haut niveau à Beverly Hills, lundi, malgré les inquiétudes croissantes face à un ralentissement économique alors que les politiques commerciales du président américain Donald Trump jettent une ombre persistante.

Gestionnaires de fonds et banquiers réunis à la Global Conference du Milken Institute ont mis en garde contre les tarifs douaniers agressifs imposés par Trump aux importations en provenance des principaux partenaires commerciaux des États-Unis, qui ont poussé de nombreuses entreprises à suspendre leurs projets d'investissement et accru les risques associés aux actifs américains, provoquant notamment une brève mais violente correction des marchés boursiers américains.

Cependant, grâce à la profondeur et à la liquidité des marchés financiers américains ainsi qu'à la taille de l'économie, beaucoup sont restés prudemment optimistes quant aux perspectives économiques des États-Unis, à l'activité de fusions-acquisitions et à la capacité du pays à continuer d'attirer d'importants flux d'investissements.

« Nous traversons clairement une période d'incertitude et d'attentisme », a déclaré Harvey Schwartz, PDG du groupe d'investissement mondial Carlyle. « La prime de risque est indéniablement plus élevée mais les acteurs veulent participer... Nous sommes activement à la recherche d'opportunités. »

Depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, ses annonces tarifaires successives et contradictoires ont ébranlé les marchés financiers, entraîné de lourdes pertes boursières et suscité la crainte de fuites de capitaux hors des États-Unis, les investisseurs cherchant à se repositionner sur des actifs moins exposés aux revirements de politique du président.

LES RISQUES DE RÉCESSION S'ACCENTUENT

Les risques de récession mondiale cette année sont élevés, selon une majorité d'économistes interrogés par Reuters fin avril, 92% d'entre eux estimant que les tarifs de Trump ont nui au moral des entreprises. Trois mois plus tôt, le même panel d'experts anticipait encore une croissance soutenue de l'économie mondiale.

Nombre des quelque 5 000 participants à la 28e édition annuelle du forum Milken ont indiqué qu'une inflexion plus souple sur les tarifs, affichée récemment par Trump et le secrétaire au Trésor Scott Bessent, avait ravivé l'espoir que le ralentissement économique engendré par la remise en cause de l'ordre commercial mondial par l'administration américaine ne soit pas aussi brutal qu'on le redoutait.

Bessent a affirmé lors de la conférence que les politiques de Trump renforceraient à long terme la position des États-Unis en tant que « foyer mondial du capital », mettant en garde contre le fait de parier contre l'économie américaine, une erreur selon lui maintes fois répétée dans l'histoire.

« Les principaux piliers de l'agenda économique de Trump -- commerce, baisses d'impôts et déréglementation -- ne sont pas des mesures isolées. Ce sont des éléments interdépendants d'un moteur conçu pour stimuler l'investissement à long terme dans l'économie américaine », a-t-il souligné.

Malgré tout, dans l'attente de précisions sur la configuration finale des tarifs, de nombreux investisseurs adoptent une posture prudente dans leurs décisions d'investissement, ou se couvrent contre le risque d'une croissance atone en cas de guerre commerciale prolongée.

« Ce que nous entendons de nos clients, c'est qu'ils se préparent à affronter des vents contraires », rapporte Jane Fraser, PDG de Citigroup. « Ils diffèrent leurs dépenses d'investissement ; certains sont également très actifs sur les marchés », a-t-elle ajouté.

DÉPLOIEMENT DU CAPITAL

Un dirigeant d'un grand gestionnaire d'actifs a indiqué que les retards dans les opérations de fusions-acquisitions avaient freiné la demande de capitaux privés habituellement mobilisés pour financer ce type de transactions, poussant les prêteurs privés à financer moins de dossiers en consentant des concessions sur les taux d'intérêt.

L'incertitude reste forte en raison des politiques commerciales américaines, a confié sous couvert d'anonymat un cadre supérieur d'une grande entreprise étrangère, évoquant des inquiétudes quant à leur impact sur la croissance, l'inflation et la réorganisation mondiale des flux commerciaux.

Cependant, certains investisseurs voient dans la volatilité extrême des marchés, qui a fait chuter de nombreux portefeuilles, une opportunité. Un gestionnaire de hedge fund de renom, dont le fonds est repassé dans le vert après des pertes plus tôt dans le trimestre, estime que les craintes de récession sont exagérées et prédit que les États-Unis sauront l'éviter.

D'autres estiment que la crainte d'un ralentissement pourrait également offrir des opportunités aux investisseurs ayant une tolérance au risque relativement élevée.

Gautam Bhandari, directeur mondial des investissements et associé gérant chez I Squared Capital, société spécialisée dans l'investissement en infrastructures, souligne que le manque de visibilité sur la forme définitive des tarifs et leur impact économique a incité les grands groupes à différer leurs décisions d'investissement, laissant plus de marge de manoeuvre aux acteurs de taille intermédiaire.

« Pour le capital privé du segment intermédiaire, c'est une opportunité », explique-t-il, notant que si les tarifs fragmentent davantage l'économie mondiale, des tendances communes émergent, comme un regain d'intérêt pour l'industrialisation.

« Toutes les économies occidentales cherchent à revitaliser leur industrie », ajoute Bhandari. « Oui, l'inflation est là et un ralentissement pourrait survenir, mais cela profite généralement aux infrastructures, qui constituent un actif défensif. »

Lors de dîners privés, de cocktails et dans la grande salle du Beverly Hilton, épicentre de la conférence, les dirigeants de grandes banques, dont Jane Fraser (Citigroup), Paul Taubman (PJT Partners) et Peter Orszag (Lazard), ont côtoyé le gérant de hedge fund Bill Ackman et des représentants gouvernementaux comme Scott Bessent et l'ancien secrétaire au Trésor Steve Mnuchin.

Leur message est clair : l'Amérique n'a pas perdu sa position et demeure le meilleur endroit au monde pour investir du capital.

« Nous cherchons, nous évaluons, nous analysons », a déclaré Waleed Al Mokarrab Al Muhairi, directeur général adjoint du groupe Mubadala Investment Company, qui investit 42% de ses portefeuilles aux États-Unis. « Nous n'avons pas cessé de déployer du capital », a-t-il assuré sur scène.