par Amanda Cooper, Tom Westbrook et John Revill

20 mars (Reuters) - Les actions et obligations des banques chutaient lundi, le sauvetage de Credit Suisse orchestré par les autorités helvètes avec UBS n'ayant pas suffi à apaiser les craintes autour de la santé du secteur bancaire mondial.

A Zurich, l'action Credit Suisse chutait de 56% tandis que celle d'UBS reprenait 2% après avoir perdu jusqu'à 16% dans la matinée, les investisseurs s'inquiétant des bénéfices à long terme du rachat par la banque de sa rivale et plus largement des perspectives pour les établissements financiers en Suisse, un pays longtemps considéré comme un modèle de solidité bancaire.

Dans une opération de sauvetage menée par les autorités suisses, UBS a annoncé dimanche le rachat pour trois milliards de francs suisses (3,04 milliards d'euros) de sa compatriote Credit Suisse, âgée de 167 ans, dans le cadre duquel elle assumera des pertes jusqu'à 5,4 milliards de dollars.

L'attention des investisseurs se portait notamment lundi sur le coup dur affronté par les détenteurs d'obligations Credit Suisse dans le cadre du rachat par UBS.

Les autorités suisses de régulation ont en effet décidé que la valeur des titres "Additional Tier 1" (AT1) de Credit Suisse - une obligation convertible contingente plus risquée que la dette classique - passerait de 16 milliards de francs à zéro.

La décision a surpris les investisseurs, habitués à ce que les pertes soient d'abord supportées par les actionnaires.

Dans un communiqué commun, l'autorité de supervision de la Banque centrale européenne, le Conseil de résolution unique et l'Autorité bancaire européenne ont ainsi rappelé lundi leur recommandation, établie après la crise financière de 2008, de faire absorber les pertes par les actionnaires en premier lieu.

Sans parvenir néanmoins à calmer la nervosité sur les marchés financiers. En Bourse, le secteur bancaire européen reculait de 0,2% après avoir chuté jusqu'à 6% plus tôt dans la matinée.

Le coût pour se protéger d'un évènement de crédit auprès des banques européennes a aussi augmenté. Le Credit Default Swap (CDS) d'UBS a grimpé à 153 points de base contre 117 points de base, selon des données de S&P Global Market Intelligence.

ACTION COORDONNÉE

Déterminées à contenir la crise, les principales banques centrales ont promis au cours du week-end de fournir des liquidités en dollars pour stabiliser le système financier.

Dans le cadre d'une réaction mondiale sans précédent depuis la pandémie, la Réserve fédérale américaine a déclaré qu'elle s'était jointe aux banques centrales du Canada, de l'Angleterre, du Japon, de l'Union européenne et de la Suisse dans le cadre d'une action coordonnée visant à accroître la liquidité du marché.

La Banque centrale européenne s'est engagée à soutenir les banques de la zone euro en leur accordant des prêts si nécessaire.

La crise bancaire s'est déclenchée au début du mois avec les faillites des banques américaines Silicon Valley Bank (SVB) et Signature Bank, avant de se propager à Credit suisse, qui connaissait déjà d'importantes difficultés en raison d'une succession de crises et de scandales liés à sa gestion du risque.

Le resserrement monétaire drastique enclenché l'an dernier par les grandes banques centrales pour lutter contre l'inflation galopante est considéré comme un élément déclencheur de l'effondrement de SVB et de Signature.

Les opérateurs de marché estiment désormais de plus en plus probable que la Réserve fédérale, qui rendra sa décision de politique monétaire mercredi dans la soirée, ne freine le relèvement de ses taux pour éviter que les turbulences du secteur bancaire ne se transforme en une crise économique plus grave.

A Wall Street, l'inquiétude se concentre principalement sur les banques régionales, notamment autour de First Republic Bank qui a reçu un soutien de 30 milliards de dollars via des dépôts effectués par plusieurs grandes banques américaines.

Dimanche, S&P Global a dégradé la note de crédit de First Republic Bank en catégorie spéculative ("junk"), estimant que le récent soutien financier pourrait ne pas suffire à résoudre les problèmes de liquidité de la banque.

En Europe, les autorités ne cessent d'assurer que les banques sont solides et suffisamment capitalisées.

RECALIBRER LE RISQUE

Le rapprochement entre UBS et Credit Suisse comprend 100 milliards de francs suisses (101,2 milliards d'euros) d'aides destinées aux liquidités des deux groupes, a fait savoir la Banque nationale suisse (BNS).

Cela a permis d'éviter ce qui aurait pu être l'un des plus grands effondrements bancaires depuis la chute de Lehman Brothers en 2008.

Toutefois la décision du régulateur suisse concernant les obligations AT1 a poussé les investisseurs à reconsidérer le risque entourant ces titres, connus sous le nom d'"obligations convertibles contingentes" ou "CoCo" et qui peuvent être convertis en actions ou annulés si le niveau de capital d'une banque tombe en dessous d'un certain seuil.

Le prix des obligations AT1 émises par d'autres banques européennes telles que Deutsche Bank, HSBC , UBS et BNP Paribas ont chuté de 10 à 12 centimes, selon les données de Tradeweb.

"Il existe certaines règles dont tout le monde pense qu'elles sont respectées, et il y a eu ce traitement très déroutant de ces obligations", a déclaré Mohamed El-Erian, chez Allianz, à la chaîne britannique Sky News.

"Les gens sont en train de recalibrer ce qui est risqué", a-t-il ajouté.

CONCENTRATION BANCAIRE

Le rachat de Credit Suisse par UBS fera de cette dernière la seule banque helvète opérant à l'échelle mondiale et va accroître la dépendance du pays à un seul établissement bancaire.

Les salariés de Credit Suisse ne cachaient pas lundi leur inquiétude quant à leur avenir, redoutant d'éventuelles suppressions liées au rachat par UBS.

Le chef de file du parti social-démocrate au Parlement suisse, Roger Nordmann, a prévenu lundi que l'opération créait des "risques énormes" pour la Suisse et UBS, et a mis en cause la direction de Credit Suisse dans la chute de l'établissement.

"Ce qui s'est produit est terrible pour la crédibilité de la Suisse", a-t-il dit.

(Reportage Stefania Spezzati, Oliver Hirt et John O'Donnell in Zurich; avec la contribution de Lananh Nguyen, Saeed Azhar, Hannah Langby, Julie Zhu, Karin Strohecker et les bureaux de Reuters; rédigé par Sam Holmes et Toby Chopra; Blandine Hénault pour la version française, édité par Kate Entringer)