Confronté à une économie sous pression depuis le début du conflit en Ukraine et privé de capitaux occidentaux, le Kremlin cherche à stimuler l’investissement privé domestique, améliorer l’efficacité des entreprises publiques et, surtout, renforcer ses recettes fiscales. La guerre coûte cher, et Moscou explore toutes les pistes pour financer son effort militaire sans trop alourdir son endettement.
"Nous avons des propositions pour de grandes privatisations", a déclaré le ministre des Finances, Anton Silouanov, lors d’une réunion avec Rosimushchestvo, l’agence fédérale de gestion des biens publics. "Selon nous, le moment est venu de remettre cette question à l’ordre du jour."
Un serpent de mer de la politique économique russe
L’idée n’est pas nouvelle. Déjà en 2010, sous la houlette d’Alexeï Koudrine, le ministère des Finances avait lancé un vaste programme de privatisations. Mais le projet s’était progressivement enlisé, et seule la vente d’une participation dans le géant pétrolier Rosneft avait véritablement abouti.
Plus récemment, fin 2023, Anton Silouanov avait proposé de relancer ces cessions d’actifs en soumettant au gouvernement une liste de 30 grandes entreprises publiques susceptibles d’être partiellement privatisées, tout en maintenant une participation majoritaire de l’État. L’objectif était alors de limiter la pression sur le marché de la dette intérieure.
Mais jusqu’à présent, aucune transaction majeure n’a été concrétisée et la liste des entreprises concernées est restée confidentielle. Andrei Kostin, président de VTB Bank, avait néanmoins évoqué des entreprises stratégiques comme l’oléoduc Transneft, les chemins de fer russes ou encore la poste nationale comme candidats possibles.
Des privatisations en partie dictées par les saisies judiciaires
Selon les agences de presse russes, le vice-ministre des Finances, Alexeï Moïséev, a précisé que la liste de 2023 n’était plus d’actualité et que les discussions portaient désormais sur sept grandes entreprises, avec des ventes prévues d’ici 2026. Le gouvernement espère en tirer entre 100 et 300 milliards de roubles (soit entre 1,23 et 3,67 milliards de dollars).
Moïséev est resté évasif sur les secteurs concernés, soulignant que certaines de ces entreprises ne sont pas cotées en Bourse et que les investisseurs auront besoin de temps pour évaluer leur valeur.
Mais au-delà des ventes classiques, Moscou semble aussi miser sur une autre source de revenus : les saisies judiciaires. Anton Silouanov a ainsi annoncé que les privatisations allaient s’accélérer via la vente d’actifs saisis par l’État. "En 2025, les revenus issus de la vente de ces biens devraient atteindre au moins 100 milliards de roubles", a-t-il affirmé.
Depuis le début de l’année, les tribunaux russes ont ordonné le transfert à l’État de plusieurs entreprises stratégiques, parmi lesquelles un important négociant en céréales, l’aéroport Domodedovo de Moscou ou encore des entrepôts logistiques d’envergure.
Une vague de nationalisations qui inquiète les milieux d’affaires. Alexandre Chokhine, président du puissant lobby patronal RSPP, a exprimé ses préoccupations face à l’incertitude persistante et au manque de garanties pour les propriétaires dépossédés.
Dans le même temps, Rosimushchestvo a pris sous sa coupe de nombreux actifs appartenant auparavant à des groupes étrangers et unilatéralement saisis par Moscou depuis trois ans. Parmi eux, les filiales russes du brasseur danois Carlsberg et du géant laitier français Danone.
Dans ce contexte, le programme de privatisation ressemble moins à une volonté de libéralisation économique qu’à une manœuvre pragmatique pour renflouer les caisses de l’État, quitte à jongler entre ventes contrôlées et confiscations opportunes.