Paris (awp/afp) - Chaque année, des montagnes d'argent sale circulent à travers la planète. Face à ce fléau, la plupart des grands établissements bancaires européens ont renforcé leurs dispositifs d'alerte ces dernières années, souvent sous la pression de sanctions.

Mais la plupart des acteurs interrogés par l'AFP en conviennent : la tâche est immense, complexe et les moyens limités. Conséquence, une part importante des flux d'argent criminel échappent à la surveillance des banques et des autorités.

"C'est extraordinairement difficile. La masse des opérations rend l'analyse très complexe", d'autant que "l'activité criminelle s'est démocratisée" ces dernières années, explique à l'AFP Michel Galiay, chargé des risques et de la conformité chez Société Générale.

En pratique, les établissement bancaires élaborent des scénarii "maison", permettant de générer des alertes informatiques en cas de montant suspects ou en cas de mouvement vers ou en provenance de certains pays, tels la Turquie ou la Syrie.

"Nous passons notre temps à tester et améliorer nos scénarii, mais les criminels s'adaptent en permanence. Donc on a besoin d'un oeil humain et l'humain a lui aussi ses faiblesses", poursuit M. Galiay.

Hausse des effectifs

À l'échelle du secteur bancaire français, les effectifs des métiers du contrôle et du risque ont augmenté de 10% sur les trois dernières années, et la part des embauches sur ces métiers a aussi progressé, représentant désormais entre 9 et 10 % des embauches CDI, selon des chiffres de la Fédération bancaire française.

Cet effort de recrutement s'est fait sous la pression des régulateurs, qui ont durci le cadre réglementaire et n'ont pas hésité à infliger de lourdes sanctions en cas de manquement à ces exigences.

L'ACRP, le superviseur bancaire français, a prononcé pas moins de 47 sanctions depuis 2011, dont 31 au cours des cinq dernières années. Et en 2018, le montant cumulé des sanctions a frôlé les 70 millions d'euros.

Les résultats sont là : les déclarations de soupçons émise par les banques se sont multipliées. Selon le rapport d'activité de Tracfin pour l'année 2019, le secteur bancaire a émis 56.588 déclarations de soupçon, soit un quasi doublement entre 2015 et 2019.

"Le nombre et la qualité des déclarations que nous font chaque année les banques augmente régulièrement", confirme-t-on chez Tracfin.

Elles "ne peuvent pas voir tous les phénomènes de blanchiment, mais sur ceux qu'elles peuvent voir facilement, elles font preuve d'un investissement très satisfaisant qui donne des résultats", salue l'organisme.

En France, "Les banques sont celles qui jouent le plus le jeu des déclarations de soupçons", parmi les 29 professionnels assujettis à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, abonde Céleste Cornu, présidente du cabinet EuroCompliance.

"Travailler aussi sur le gendarme"

Mais dans un monde bancaire intensivement connecté et où les frontières ont été depuis longtemps abolies, un pays ou établissement moins regardant suffisent pour permettre à l'argent sale de se fondre dans les eaux du grand fleuve financier mondial.

Depuis deux ans, les scandales liés au blanchiment d'argent se sont ainsi multipliés en Europe. Parmi les cas les plus retentissants, la banque danoise Danske Bank est au coeur d'une affaire portant sur le blanchiment entre 2007 et 2015 d'environ 200 milliards d'euros au travers de sa filiale estonienne, qui a éclaboussé au passage le géant allemand Deutsche Bank.

Hors d'Europe, la Banque centrale américaine vient d'ordonner au groupe Credit Suisse de renforcer sa politique de lutte contre le blanchiment après avoir constaté des "insuffisances" de procédures dans ses opérations aux Etats-Unis.

Mais il faut aussi "travailler sur le gendarme", insiste Thierry Philipponnat, directeur de la recherche et du plaidoyer de l'ONG bruxelloise Finance Watch.

"Il y a des pays d'Europe où on peut se poser des questions sur la bonne application des règles anti-blanchiment. (...) C'est là où le scandale Danske, prouve qu'il y a eu clairement à tout le moins une complaisance voire une complicité avec de l'argent sale. Et on a eu une défaillance de la supervision. Et la supervision reste sur ces questions là au niveau national", souligne M. Philipponnat.

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