Cruelle ironie du sort : on peut parfois dérouler avec brio un plan stratégique parfaitement rationnel sur le papier, et pourtant se trouver subitement pris de court par une conjoncture défavorable. Le cas de Denny’s illustre à nouveau cette dure loi des affaires.
Véritable icône de la culture américaine, la chaîne a réussi son ambitieuse transition d’un modèle de restaurants détenus en propre vers un modèle de franchisés. C’est ce qui lui permettait de défendre un profit d’exploitation stable au long des vingt dernières années, ceci alors que son nombre d’emplacements en exploitation restait strictement identique et que son chiffre d’affaires était divisé par deux.
L’autre bénéfice de cette transition fut de réduire l’intensité capitalistique, et ainsi de notablement dynamiser la génération de cash-flow libre. Ces flux étaient ensuite redirigés dans leur intégralité vers des rachats d’actions, à des valorisations qui typiquement oscillaient entre dix et douze fois l’EBITDA. Le marché appréciait, et l’action Denny’s se vit propulsée vers les sommets.
Bien qu’elle permit de réduire le nombre de titres en circulation de 43% en vingt ans, cette gestion agressive présentait l’inconvénient de ne le laisser aucune trésorerie dans les caisses pour prévenir les mauvais jours. Ainsi, en 2020, la pandémie prit une première fois de court le management qui du se résoudre à une augmentation de capital en urgence.
Le même scénario se répète cinq ans plus tard. Cette fois-ci, ce n’est pas une pandémie mais un contexte économique morose et une désertion de la clientèle qui entraînent une chute du chiffre d’affaires et du profit d’exploitation, tous deux sur leurs plus-bas à vingt ans — hors épisode du Covid et les mois de confinement qui suivirent.
Cette dégradation des résultats entraîne par ricochet les ratios de solvabilité dans le rouge vif, avec une dette nette qui atteint x5.5 le profit d’exploitation avant dépréciations et amortissements, ou EBITDA. C’est trait pour trait ce qui avait contraint Denny’s à une augmentation de capital en 2020 — augmentation de capital qui effaçait d’un coup de plume le bénéfice de quatre années de rachats d’actions.
Le marché n’apprécie pas et renvoie Denny’s à une structure de capital digne d’un LBO, avec une valeur d’entreprise de $565 millions dont $405 millions de dette. Dans ces conditions, il sera difficile d’assurer le refinancement de cette dernière. Voici un cas pratique qui rappelle comme les rachats d’actions peuvent parfois compromettre la liquidité de manière irréversible, a fortiori dans des activités en difficulté.
Pour rire, certains internautes spéculent sur un sauvetage de la chaîne par Jensen Huang. Le fondateur de Nvidia était plongeur dans un Denny’s lorsqu’il était étudiant — une expérience qu’il a plusieurs fois décrite comme extrêmement formatrice — et c’est dans un restaurant de la chaîne qu’il a fondé son groupe avec ses partenaires Chris Malachowsky et Curtis Priem, qui à l’époque travaillaient tous les deux chez Sun Microsystems.
Denny’s a d’ailleurs récemment lancé une formule de petit déjeuner appelée Nvidia Breakfast Bytes. Hasard des conjonctures : après une expansion météorique, Nvidia connaît lui aussi un début d’année calamiteux, puisque sa capitalisation boursière a fondu d’un tiers en l’espace de seulement quelques semaines.