Paris (awp/afp) - Le monde bancaire européen est-il à la veille d'un vaste mouvement de consolidation? Le secteur retient son souffle au moment où les géants allemands Deutsche Bank et Commerzbank discutent d'une fusion qui aiguise les appétits ailleurs en Europe.

En proie de longue date à des difficultés, les deux principales banques privées allemandes ont annoncé mi-mars le début de discussions en vue d'une éventuelle fusion pour créer "un champion national", avec la bénédiction du gouvernement allemand qui craint que l'un ou l'autre des deux établissements ne finisse englouti par un concurrent étranger.

L'hypothèse est tout sauf fantaisiste: selon le Financial Times, l'italien UniCredit "est en train de préparer une offre concurrente de plusieurs milliards d'euros alors que des signes laissent apparaître que la fusion entre la banque allemande et Deutsche Bank connaît des difficultés croissantes".

Selon le journal, UniCredit, dirigée par le Français Jean-Pierre Mustier, n'agirait toutefois qu'en cas d'échec du projet allemand, et ce via une éventuelle fusion entre Commerzbank, dont il acquerrait une importante part, et la banque allemande HypoVereinsbank dont le groupe italien est déjà propriétaire.

Ces manoeuvres n'ont pas manqué de raviver un vieux débat en Europe concernant le bien-fondé ou non de fusions bancaires transfrontalières et l'émergence de champions européens pour - entre autres - barrer la route aux géants anglo-saxons du secteur qui grignotent année après année des parts de marché sur le Vieux continent.

Possible "basculement"

"S'il y a du mouvement entre UniCredit et Commerzbank, quelle sera la nationalité du nouvel ensemble? Allemande? Italienne? Si ce rapprochement a lieu, ça peut créer un basculement en Europe et donner le coup d'envoi d'une dynamique de fond", a ainsi expliqué à l'AFP une source bancaire française.

De leur côté, les superviseurs européens plaident depuis longtemps en faveur de rapprochements.

"Le secteur bancaire européen reste fragmenté: la part de marché des cinq plus grandes banques européennes atteint 20%, comparée à plus de 40% aux États-Unis", a souligné vendredi le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, lors d'un discours à Bucarest où se tient une rencontre de l'Eurogroupe.

Dans ce contexte, "nous devrions viser la création d'un marché bancaire unique (...) où d'authentiques groupes bancaires pan-européens pourraient opérer de manière plus efficace et être mieux capables de faire face à la concurrence étrangère", a-t-il ajouté.

Pour ce faire, M. Villeroy de Galhau plaide notamment pour une réduction - sous conditions - des exigences de capital imposées aux filiales européennes de ces futurs groupes pan-européens, doublée d'une stabilisation des règles prudentielles auxquelles sont soumises les banques, ces dernières ayant été considérablement renforcées depuis la crise financière de 2007-2008.

"La consolidation bancaire, comme d'ailleurs pour d'autres secteurs, est clé pour une amélioration au sein de la zone euro et parmi les 27 États-membres de l'Union européenne", a estimé vendredi le ministre français de l'Économie et des finances Bruno Le Maire.

Problème, l'impossibilité de déplacer les liquidités ou le capital d'un pays de l'Union vers un autre est une entrave à la consolidation, déplorent nombre de banquiers, selon qui l'obstacle majeur pour constituer des champions européens tient au contexte réglementaire qui, malgré l'Union bancaire en gestation, reste fragmenté en Europe.

Et malgré un large consensus, le projet de création d'une Union des marchés de capitaux en Europe reste lui aussi en berne à ce stade.

Analystes sceptiques

Un certain nombre d'analystes restent d'ailleurs sceptiques sur la possibilité de voir à court terme de grands groupes bancaires européens fusionner.

"Nous continuons à considérer avec une faible probabilité de succès une fusion transfrontalière à large échelle, en raison des risques d'exécution et du contexte réglementaire non favorable", pointent les analystes de Jefferies.

En outre, un rapprochement entre deux acteurs européens "pourrait rendre les activités de financement et d'investissement plus efficaces, mais n'apporterait que très peu de synergies aux réseaux de détail et de financement des entreprises", soulignent les analystes de Scope Insights dans une note.

"Plus il y a de superpositions, plus il y a de gains d'efficacité possibles. Les synergies principales pour le moment sont à l'intérieur des pays", a récemment déclaré lors d'une rencontre avec des journalistes le président du groupe Société Générale, Lorenzo Bini Smaghi.

Entre pays, en revanche, "ce n'est pas très facile. Si deux banques de deux pays différents n'ont pas de réseaux qui se superposent, c'est compliqué", parce qu'il "y a un problème de synergies, avec aucune réduction des coûts". "De plus, les systèmes légaux sont différents, les procédures sont différentes, il faut mettre ensemble les systèmes informatiques, l'intégration peut coûter", a ajouté M. Bini Smaghi.

Conséquence, "il faut avancer dans l'intégration bancaire pour permettre comme aux États-Unis de déplacer les liquidités et le capital d'un pays à un autre", a plaidé le banquier.

afp/rp