Le répit accordé par Washington, notamment sur la tequila et le whisky canadien, a offert à Diageo une bouffée d’air bienvenue. Près de la moitié de ses ventes aux États-Unis repose sur des spiritueux produits au Mexique ou au Canada, tels que Don Julio et Crown Royal. La menace d’une taxe de 25 % ne s’est finalement pas concrétisée, permettant à Diageo d’anticiper ses expéditions. Ce sursaut se reflète dans la hausse organique de 5,9 % enregistrée au troisième trimestre, dopée par cette stratégie d’acheminement anticipé. Mais l'entreprise prévient : cette embellie est passagère, et le quatrième trimestre risque d’en ressentir le contrecoup.
Aux commandes depuis l’an dernier, la directrice générale Debra Crew s’efforce désormais de remettre Diageo sur une trajectoire plus stable. Son ambition : générer un flux de trésorerie disponible annuel de 3 milliards de dollars d’ici l’exercice 2026, de quoi renforcer le bilan et rassurer des investisseurs échaudés par la baisse des volumes sur plusieurs marchés clés. « Ce plan garantira notre capacité à maintenir une performance durable et régulière, tout en maximisant la création de valeur pour nos actionnaires, même si les conditions de marché actuelles perdurent », a-t-elle déclaré, sans promettre de retour rapide à la vigueur d’avant-Covid.
Flux de trésorerie. Source : Zonebourse / MarketScreener
Les économies ciblées, attendues d’ici 2028, ne proviendront pas d’un tour de passe-passe. Diageo mise sur des gains d’efficacité logistique, une réduction des dépenses discrétionnaires et une accélération de sa transformation numérique. En coulisses, l’entreprise procède également à des réductions d’effectifs et à une simplification de son portefeuille de marques : des mesures destinées à concentrer les ressources sur les étiquettes à plus forte marge.
Mais les difficultés de Diageo ne sont pas uniquement conjoncturelles. Elles sont aussi structurelles. L’évolution des habitudes de consommation, en particulier chez les jeunes en Europe et en Amérique du Nord, pèse sur la demande de spiritueux haut de gamme. Parallèlement, l’inflation continue d’éroder le pouvoir d’achat des ménages, reléguant la bouteille de Don Julio à 60 dollars au rang de plaisir occasionnel. Et les marchés émergents, longtemps vus comme des relais de croissance, offrent des performances de plus en plus inégales.
Les résultats du troisième trimestre offrent une lueur d’optimisme prudent. La croissance organique des ventes nettes s’est établie à 5,9 %, largement au-dessus du consensus Bloomberg (+2,9 %), portée par une progression de 2,8 % des volumes organiques. Le chiffre d’affaires a atteint 4,38 milliards de dollars, en hausse de 2,9 % sur un an et supérieur aux attentes. La zone Amérique du Nord s’est montrée la plus dynamique (+6 % à 1,90 milliard), portée par une accélération stratégique des livraisons. Ailleurs, la performance se révèle contrastée : repli de 1,3 % en Europe, chute de 4,2 % en Afrique, mais bond de 13 % en Amérique latine et dans les Caraïbes. L’Asie-Pacifique, elle, est restée stable. Malgré ces vents contraires régionaux, Diageo a confirmé ses prévisions annuelles et prévoit des investissements en capital en haut de la fourchette estimée (entre 1,3 et 1,5 milliard de dollars). L’entreprise a également réaffirmé que les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine n’ont pas d’impact significatif sur son activité. Elle estime que le coût annualisé de 150 millions de dollars lié aux droits de douane américains, sous réserve d’un statu quo tarifaire, a déjà été intégré dans ses perspectives pour les exercices 2025 et 2026. Diageo compte d’ailleurs en compenser environ la moitié grâce à des gains d’efficacité. Une amélioration séquentielle des ventes au second semestre est également attendue.
Résistance éprouvée
Les résultats de Diageo sont « globalement bons », a écrit James Edwardes Jones, analyste chez RBC Capital Markets. Il estime toutefois que si la croissance organique des ventes au troisième trimestre est « remarquable », elle est en partie due à un effet de calendrier qui devrait s'inverser au quatrième trimestre.
Néanmoins, Diageo a déjà fait preuve de résilience. L'entreprise a surmonté le Brexit, les chocs d'approvisionnement et l'effondrement de la culture des bars pendant la pandémie. Grâce à sa présence mondiale et à ses marques de premier ordre, elle reste le poids lourd du secteur. Les investisseurs, bien que prudents, peuvent se réjouir de l'impact plus modeste des droits de douane et de la détermination de M. Crew à serrer la vis.
Tout dépend désormais de la mise en œuvre. Si l'entreprise parvient à respecter ses engagements en matière d'économies sans diluer la magie de ses marques, on pourrait bien trinquer à son retour en force.