Après une phase de forte demande, notamment sur le segment haut de gamme, le marché connaît un net ralentissement, en particulier en Chine. À cela s’ajoutent les craintes des investisseurs face à d’éventuelles hausses de droits de douane et à l’impact des médicaments anti-obésité sur la consommation d’alcool. Un cocktail qui promet une année agitée pour le secteur.

La pression, ça se boit

Le ralentissement se fait sentir. Rémy Cointreau a publié des résultats inférieurs aux attentes, mettant en avant un repli de la demande aux États-Unis et en Chine. Chez LVMH, la division vins et spiritueux affiche la plus forte baisse du groupe, avec un recul de 8% en 2024. Tous les regards sont désormais tournés vers les résultats du deuxième trimestre de Diageo.

Le leader mondial des spiritueux maintient un objectif de croissance annuelle des ventes de 5 à 7%, un chiffre jugé de plus en plus irréaliste par certains analystes. Parmi eux, Kai Lehmann, de Flossbach von Storch, un investisseur clé de Diageo, estime que "7% est difficilement atteignable à moyen et long terme". Ces doutes mettent sous pression le nouveau directeur financier, Nik Jhangiani, qui devra clarifier la stratégie du groupe dans les mois à venir.

L’industrie bénéficie pourtant d’une montée en gamme des consommateurs, mais celle-ci pourrait ralentir. L’inflation persistante et la hausse des taux d’intérêt poussent les ménages à réduire leurs dépenses discrétionnaires. De plus, l’essor des médicaments anti-obésité, qui réduiraient la consommation d’alcool, commence à inquiéter certains investisseurs.

Le contexte international ajoute une dose d’incertitude. La menace de nouvelles taxes américaines sur les spiritueux, évoquée sous la présidence de Donald Trump, pourrait peser sur les ventes de produits phares comme la tequila mexicaine.

Louis Vuitton et Moët Hennessy

Dans ce climat difficile, le positionnement de LVMH vis-à-vis de sa division vins & spiritueux (W&S) suscite des interrogations. Cette division est exploitée depuis 1994 en coentreprise avec Diageo, qui en détient 34%. Le groupe de Bernard Arnault a une option d'achat, mais il pourrait à l'inverse chercher à céder ses parts. En effet, si les spiritueux représentaient autrefois un pilier stratégique, leur poids est devenu marginal. La mode et la maroquinerie génèrent aujourd’hui plus de dix fois les profits de W&S, avec un retour sur investissement bien plus attractif, souligne le bureau d'études Bernstein. Le bureau d'études pense qu'une scission de Moët Hennessy pourrait être une option crédible. "LVMH ne souffre pas d’une décote due aux vins et spiritueux, mais cette division l’empêche de maximiser son statut de valeur refuge, à l’image d’Hermès ou de L’Oréal", soulignent les analystes de la banque. Séparer Moët Hennessy du groupe permettrait de lever un frein pour certains investisseurs sensibles aux critères ESG et d’accroître la valorisation boursière de LVMH.

Diageo, candidat naturel à un rachat ?

Si LVMH se délestait de Moët Hennessy, Diageo pourrait apparaître comme un acheteur logique. Le groupe britannique a toujours manifesté son intérêt pour une prise de contrôle. Cependant, plusieurs obstacles se dressent. Un rachat en bloc représenterait un investissement considérable, alors que Diageo traverse lui-même une période d’instabilité financière. Le groupe a même dû démentir il y a quelques jours une rumeur lui prêtant l'intention de céder Guinness, l'un des joyaux de sa couronne, pour pouvoir disposer des moyens nécessaires pour investir.

Une alternative serait une privatisation progressive, dans laquelle Agache (la holding de la famille Arnault) et Diageo trouveraient un terrain d’entente. Ce scénario permettrait à Diageo de renforcer son portefeuille de spiritueux sans vendre d’actifs clés comme Guinness et à la famille Arnault de conserver ses actifs viticoles (Champagne, vins), potentiellement intégrés à d’autres marques.

Un marché en quête de stabilité

Le secteur des spiritueux se trouve à un tournant. L’époque du boom post-Covid, qui avait porté la consommation de spiritueux premium, semble révolue. Diageo, Pernod Ricard et Rémy Cointreau doivent désormais composer avec une demande moins dynamique, une concurrence accrue et des contraintes macroéconomiques pesantes.

Dans ce contexte, une recomposition du paysage n’est pas à exclure. Si LVMH décide de recentrer son activité sur le luxe pur, cela pourrait déclencher une vague de consolidation et redéfinir l’équilibre des forces. Le prochain chapitre des spiritueux se joue peut-être dès maintenant.

Dans ce registre de la consolidation, le brasseur américain Molson Coors a justement annoncé jeudi matin son entrée au capital de la société britannique Fevertree, spécialiste des softs à mélanger aux alcools. L'investissement représente 8,3 M$ pour 8,5% du capital de cette entreprise en perte de vitesse, jadis considérée comme une pépite sectorielle.

 En Europe, les entreprises cotées dans le domaine de l'alcool se divisent entre deux géants, Diageo et Pernod Ricard, deux outsiders, Davide Campari et Rémy Cointreau, plus une multitude d'acteurs plus petits. Par exemple le trio champenois (Vranken, Laurent-Perrier, Lanson-BCC), les acteurs du vins (AdVini, Masi Agricola, Italian Wine Brands…) ou de petits groupes diversifiés comme Marie Brizard