« Nous voulons nous affranchir des éditeurs ». A l’occasion de la présentation de résultats 2020 sans étincelles et conformes aux attentes, la direction de Don't Nod Entertainment a martelé sa détermination à éditer ses propres jeux.  Studio spécialisé dans les jeux narratifs, dans lesquels les joueurs influencent la suite de l'histoire, Dontnod figure parmi les plus petits acteurs cotés sur ce marché en pleine concentration. Ressuscité en 2015 par le succès du jeu Life is Strange, le studio fondé en 2008 par son actuel PDG Oskar Guilbert avait déjà franchi un pas dans sa quête de croissance indépendante en 2018 en s’introduisant en Bourse. Malgré quelques déconvenues peu après son IPO, les deux augmentations de capital réalisées en juillet 2020 et janvier 2021 pour un total de 57M€ ont changé la donne. Surtout que 30 des 50 M€ levés en janvier dernier à 16€ l’ont été auprès du géant chinois de l’internet, Tencent. Ce dernier pointe depuis à 25% du capital. 

De quoi permettre à Dontnod de conduire l’évolution ambitieuse de son business-model. En prenant à sa charge une partie croissante des budgets de développement de ses jeux, il conserve une part grandissante des recettes tirées du produit sur l’ensemble de sa durée de vie. Cela a commencé en 2015 par de la coproduction avec l’éditeur Focus Interactive. En obtenant un droit sur les recettes proportionnel à la participation au budget de développement du jeu, le coproducteur peut potentiellement multiplier par 3 sa rentabilité, a expliqué la direction en prenant le cas d’un jeu de qualité AA nécessitant un budget 10 à 20 M€. Les fonds levés lors de l’introduction en Bourse visaient à développer cette stratégie. Depuis 2020, Dontnod pousse beaucoup plus loin la logique en cherchant à être pleinement propriétaires en éditant les jeux qu’il produit. Dans ce cas, la rentabilité peut être multipliée par 10 et les revenus globaux dépasser les 30M€. 

Source : présentation Dontnod du 20 avril 2021

Afin de réduire le risque d’échec sur un jeu qui fragiliserait la société dans son ensemble, Dontnod multiplie les projets de jeux en coproduction et en autoédition partielle ou intégrale tout en s’appuyant sur les nombreux crédits d’impôts qui ont cours en France et au Canada pour peu que les jeux aient une version en français. La société a ainsi créé en 2020 une filiale à Montréal où elle vise une trentaine de personnes d’ici la fin de l’exercice. En parallèle, afin de renforcer son savoir-faire dans l’édition, le studio a débauché chez Ubisoft et Wargaming les responsables de ses nouveaux pôles édition et marketing.

En ce début 2021, Dontnod compte 7 projets de jeu dont 5 en auto-édition et 1 en coproduction avec Focus Home Interactive. Seulement, il faudra être patient pour voir ces projets se traduire par des revenus et des résultats supplémentaires. La société est entrée en 2019 dans une phase d'investissements importants dans des cycles de développement d’une durée de 3-4 ans qui devraient se traduire par des sorties étalées sur les exercices 2022-2025.

Source : présentation Dontnod du 20 avril 2021

D’après Maxence Dhoury, analyste financier de Portzamparc en charge de la valeur, le bilan de Dontnod est désormais « suffisamment solide pour envisager une nouvelle hausse de la capacité de production, soit par le biais d'une troisième implantation soit au travers du M&A ». Et d’ajouter : « le partenariat avec Tencent devrait permettre d'accélérer en Asie et sur mobiles, des relais de croissance naturels du groupe. »

S’il faudra être patient pour commencer à mesurer les fruits de cette stratégie, sa pertinence fait peu de doute. Intégrer la chaîne par l’autre coté est d’ailleurs la stratégie menée avec succès par deux autres acteurs français : Nacon et Focus. Sur un marché en ébullition où le créateur de contenus est roi quand il parvient à en conserver la propriété, Dontnod dispose de nombreux atouts pour réussir son pari de croitre tout en restant indépendant. Se pose en revanche la question de la valorisation. A 5x le CA2022 attendu (rapport entre la valeur d’entreprise et le CA estimé par le consensus), une bonne partie du succès est déjà dans les cours. Disons que les 16€ de l’augmentation de capital de janvier offrent un bon repère de valorisation en attendant de voir si le projet se déroule comme prévu.

Source : présentation Dontnod du 20 avril 2021