L'exploitant des aéroports d'Orly et de Roissy, dont l'Etat détient 50,6% du capital et 58,5% des droits de vote, est régulièrement cité, tout comme la Française des Jeux, parmi les cibles privilégiées pour une privatisation, suite logique de l'introduction en Bourse de près d'un tiers de son capital en 2006.

Le foisonnant projet de loi "Pacte" (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui devrait être présenté fin juin en conseil des ministres, devrait comporter un chapitre permettant de lancer les cessions d'actifs destinées à financer le Fonds pour l'innovation de rupture (10 milliards d'euros), créé en début d'année.

"La balle est dans le camp de l’Etat et surtout dans la façon dont ils vont structurer et faire ce deal. On n’a pas de visibilité", souligne Xavier de Buhren, gérant de fonds chez Mirabaud, pour expliquer la difficulté à valoriser l'opération.

La durée de la concession sera cruciale, sachant que le gouvernement pourrait opter par exemple pour 40 ans plutôt que 50 ans, une différence n'ayant qu'une incidence relative sur le prix payé par l'acheteur, mais qui pourrait permettre à l'Etat de récupérer son actif dix ans plus tôt, souligne-t-il.

Sur le plan réglementaire, le gouvernement devra clairement réguler les tarifs, ne laissant pas à l'acquéreur d'ADP les mains aussi libres qu'aux concessionnaires autoroutiers, et s'assurer que la sécurité aérienne est garantie.

Le cours actuel de 181 euros d'ADP valorise le groupe à 17,9 milliards d'euros, mais les incertitudes liées au timing de l'opération tendent à peser sur le titre qui avait progressé en mars.

"Compte tenu du contexte social actuel, il semble peu probable de voir la privatisation d’ADP se passer courant 2018. Nous pensons qu’il y a plus de chances de voir la privatisation se passer en 2019", explique Mehdi Boudokhane, analyste chez Raymond James.

L'intermédiaire a abaissé la semaine dernière sa recommandation sur ADP d'achat fort à performance en ligne, citant aussi les risques que fait peser la crise chez Air France sur le groupe Air France-KLM, premier client d'ADP.

Raymond James valorise ADP à 198 euros si la privatisation se concrétise et à 154 euros dans le cas contraire - contre des évaluations respectives de 215 et 160 euros pour UBS.

Le fait qu'ADP soit actuellement propriétaire de son foncier rend sa privatisation bien différente de celle, controversée, des autoroutes dans le passé, souligne un conseiller d'Emmanuel Macron.

"Privatiser ADP dans les conditions actuelles, ce n’est pas pareil que privatiser une société qui serait simplement concessionnaire ou opérateur, c’est privatiser le foncier avec et ça – je vous le dis – ça ne se passera pas", a-t-il dit à des journalistes, soulignant ainsi que l'Etat entendait, d'une manière ou d'une autre, "garder la main" sur le foncier.

Vinci, qui a racheté en 2005 les sociétés d'autoroutes ASF et Escota, est cité comme repreneur favori d'ADP, dont il détient déjà 8% du capital, acquis en deux phases en 2008 et en 2013.

Le groupe de BTP, qui réitère d'ailleurs régulièrement son intérêt pour ADP, bénéficie d'un moyen de pression sur l'Etat avec qui il doit engager des discussions sur le montant de l'indemnité qui doit lui être versée après l'abandon de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), dont il devait être le concessionnaire.

Le gouvernement est pour sa part confronté à un dilemme: il doit en effet garantir un "service public" de qualité tout en laissant à l'acquéreur une marge de manoeuvre suffisante pour que cette opération reste attractive.

Même si ADP reverse à des actionnaires un taux élevé de 60% de son bénéfice net et que son dividende devrait doubler à 5,23 euros par action en 2022 selon Thomson Reuters I/B/E/S, son rendement avoisine 1,4%, soit trois fois moins que les 4,5% servis par EDF.

"Si l’acquéreur a les mains libres pour pouvoir bien faire baisser les coûts, cela va devenir une vraie machine à cash, donc ça aussi c’est quelque chose qui doit être valorisé", souligne Xavier de Buhren.

C'est sur ses activités non régulées (commerces, services et immobilier notamment) que l'acquéreur pourra compter : elles représentent environ la moitié du chiffre d’affaires du groupe et plus de 60% de la marge brute d’exploitation, souligne Grégoire Laverne, gérant et directeur général adjoint de Roche-Brune AM.

ADP vise un accroissement à 23 euros de son chiffre d'affaires par passager dans les commerces côté pistes en 2020 contre 9,8 euros en 2006.

"Cet objectif ambitieux devrait être rendu possible par l’ouverture de nouvelles zones commerciales en particulier en 2019 et 2020 (+15 et +25% respectivement)", estime Grégoire Laverne.

ADP a prévu d'investir un total de 4,6 milliards d'euros entre 2016 et 2020, notamment pour rénover les deux aéroports, avec en particulier la fusion des terminaux 2B et 2D de Roissy et la jonction entre les terminaux Ouest et Sud d'Orly.

Mais UBS évalue lui à 20 euros le chiffre d'affaires par passager en 2021, citant la féroce concurrence de l'e-commerce et le fait que les nouveaux espaces commerciaux concernent en grande partie Orly, terre d'accueil des compagnies "low cost", et des bars et restaurants.

"Les aéroports de Paris ont progressivement perdu des parts de marchés face aux plates-formes du Moyen-Orient et l'aéroport d'Istanbul et doivent composer avec des charges par passager plus élevées que celles de ces aéroports", estime UBS, disant s'attendre à une poursuite de cette tendance.

TAV Airports, dont ADP détient 46,12%, n'a pas obtenu la concession du nouvel aéroport d'Istanbul qui doit ouvrir en octobre 2018. Le groupe turc exploite l'actuel aéroport, qui devrait fermer en 2021, mais aussi d'autres aéroports, notamment celui de la très prisée station balnéaire turque Antalya.

(Avec Jean-Baptiste Vey, édité par Jean-Michel Bélot)

par Cyril Altmeyer