Après une révision à la hausse du coût des deux réacteurs EPR prévus dans le sud-ouest de l'Angleterre, le locataire de Bercy a demandé début juillet au PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, de présenter avant la fin du mois un plan d'action "rigoureux" afin de respecter le calendrier du projet et de réduire son impact financier pour le groupe, détenu à 83,4% par l'Etat.

Trois jours plus tard, le ministre déclarait qu'il souhaitait surveiller "plus attentivement" la gestion des grandes entreprises publiques, en particulier dans l'énergie.

"Bruno Le Maire a tapé du poing sur la table. Il est là pour protéger l'intérêt des contribuables français et, en demandant des explications précises, il est dans son rôle de ministre, mais pas dans une logique d'ultimatum", précise-t-on à Bercy.

L'Etat ayant renfloué EDF de trois milliards au mois de mars et devant recapitaliser Areva à hauteur de 4,5 milliards au troisième trimestre - une opération dont Bruno Le Maire s'est plaint qu'elle n'avait pas été budgétée -, la référence aux "contribuables français" n'est pas anodine.

Concrètement, EDF va devoir formaliser des procédures d'information de son conseil et un suivi d'Hinkley Point qui étaient déjà envisagés, mais aussi identifier et chiffrer précisément des mesures - le groupe évoque des "plans d'actions" -, censées éviter un dérapage incontrôlé du projet.

Son approbation finale par EDF, en septembre, était intervenue après des mois d'opposition d'une partie des syndicats du groupe, selon lesquels Hinkley Point mettait en péril les finances de l'électricien.

Thomas Piquemal, l'ancien directeur financier du groupe, avait pour sa part recommandé en vain un report du projet avant de démissionner de son poste en mars 2016.

LE PDG D'EDF "SOUS TUTELLE" SUR HINKLEY POINT

"Le ministre dit à mots couverts que les choses ont été mal gérées jusque-là. On peut se demander pourquoi le décalage n'était pas déjà acté quand les éléments financiers ont été communiqués au conseil, d'autant que certaines difficultés étaient déjà documentées et signalées", selon un source industrielle interrogée par Reuters.

Le PDG d'EDF "n'est pas conforté, mais je ne pense pas que ça aille plus loin (...) ; il n'y a pas pour lui de risque immédiat mais, sur ce dossier-là, il est clairement sous tutelle", ajoute cette source. Le mandat de Jean-Bernard Lévy, nommé en 2014, arrivera à échéance en 2019.

Alors que le groupe a clairement fait savoir qu'il comptait participer activement à l'élaboration de la politique énergétique du gouvernement, Hinkley Point aura valeur de test de ses futures relations avec l'exécutif.

Une deuxième source industrielle ayant une bonne connaissance du projet estime cependant qu'EDF devra assumer de nouveaux dérapages et "ne sera évidemment pas au rendez-vous d'une mise en service en 2025".

Cette source ajoute que les propos de Bruno Le Maire sont peut-être le signe d'un "réveil de l'Etat" alors que l'exécutif - en particulier Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie - a constamment soutenu la direction d'EDF dans le lancement du projet malgré les craintes qu'il suscitait.

"COMBINER L'INTÉRÊT SOCIAL D'EDF ET L'INTÉRÊT GÉNÉRAL"

Dans une note récente, les analystes de Barclays ont relevé que leurs propres hypothèses pour Hinkley Point incluaient un retard de mise en service de quatre ans et un dépassement de coûts de 25% et que, tant que le projet restait dans ce cadre, sa valeur n'était pas remise en cause.

Evoquant "la nécessité de tout mettre en oeuvre pour limiter les risques du projet (...) mais aussi éviter une contagion sur les investissements de service public en France", la CGT, CFE-CGC et FO d'EDF ont pour leur part demandé au nouveau gouvernement de lancer "une mission sur la filière nucléaire pour assurer son avenir sur des bases solides et durables".

Au-delà de la question récurrente des hausses de tarifs, l'enjeu pour le groupe sera de limiter le nombre de fermetures de réacteurs envisagées par le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot.

EDF est également attendu sur sa capacité à obtenir une prolongation - voire un renouvellement - du parc nucléaire français, ainsi qu'une nouvelle régulation de la concurrence à travers une réforme du dispositif de l'Arenh.

"Toute la question sera de savoir si Le Maire a l'intention de combiner l'intérêt social d'EDF et l'intérêt général, si les politiques publiques seront fondées et en bonne relation avec les enjeux industriels et sociaux du secteur de l'énergie, ce qui reste à prouver", estime l'une des sources interrogées par Reuters.

(Edité par Jean-Michel Bélot)

par Benjamin Mallet

Valeurs citées dans l'article : Electricité de France, Areva