par Michel Rose et John Irish
PARIS, 28 novembre (Reuters) - Emmanuel Macron est
attendu à Washington cette semaine dans le cadre d'une rare
visite d'État qui, au-delà de la célébration de l'amitié
franco-américaine, aura pour véritable enjeu l'impact sur
l'industrie européenne de la loi sur la réduction de l'inflation
de Joe Biden.
L'abandon par Canberra, il y a plus d'un an, d'un
méga-contrat avec la France sur la fourniture de sous-marins, au
profit d'une alliance avec Washington et Londres (dite Aukus), a
mis à mal les relations franco-américaines. Les deux pays
devraient cependant faire preuve d'unité face aux menaces
communes que représentent la Russie et la Chine.
Les Européens estiment que la loi américaine sur la
réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act ou IRA) et les
subventions massives réservées aux fabricants américains qui en
découlent, pourraient encore plus pénaliser leurs industries,
déjà ébranlées par les prix élevés de l'énergie.
Emmanuel Macron tentera donc de convaincre les États-Unis
qu'il est dans leur intérêt de ne pas affaiblir les entreprises
européennes au moment où les alliés occidentaux sont confrontés
à la concurrence économique intense de la Chine.
"Le 'pitch' ça va être de dire: il y a évidemment un défi
chinois. On est prêt, dans l'UE, à sortir de la naïveté vis-à-
vis de Pékin. Mais vous ne pouvez pas nous demander de vous
aider sur la Chine et nous faire l'IRA", a expliqué à Reuters un
diplomate français qui a requis l'anonymat.
Le chef de l'État tentera de négocier des exemptions
pour les entreprises européennes sur le modèle de celles que le
Mexique et le Canada ont déjà obtenues, a dit un conseiller
présidentiel français.
La France peut demander à être exemptée d'un certain nombre
de droits ou limites mais "il faut qu'on se pose la vraie
question: quelle mondialisation avons-nous devant nous ?", a
déclaré dimanche sur France 3 le ministre de l'Économie, Bruno
Le Maire, qui fera partie de la délégation française à
Washington.
"La Chine privilégie ses productions chinoises, l'Amérique
privilégie ses productions américaines, il serait peut-être
temps que l'Europe privilégie ses productions européennes",
a-t-il ajouté.
Les questions énergétiques figureront également en bonne
place dans les discussions à la Maison blanche, la France
espérant stimuler la coopération en matière d'énergie nucléaire.
Emmanuel Macron souhaite que la France construise davantage
de réacteurs nucléaires, mais elle est confrontée à des
problèmes de corrosion dans ses centrales vieillissantes.
EDF a fait appel à des centaines de travailleurs
spécialisés, notamment des soudeurs du spécialiste américain de
la construction de centrales nucléaires Westinghouse, pour aider
à résoudre ces problèmes et éviter les pannes de courant en
Europe cet hiver.
Emmanuel Macron se rendra également en Louisiane, où le
géant pétrolier français TotalEnergies exploite un
important terminal de gaz naturel liquéfié. Le président, qui
s'est plaint du prix élevé des exportations de gaz américain, a
annoncé qu'il aborderait cette question avec Joe Biden.
"Les États-Unis sont producteurs d'un gaz peu cher qu'ils
nous vendent cher", a-t-il déclaré aux industriels français le 8
novembre. "En plus de cela, ils ont pris des dispositifs d'aides
d'Etat massives sur certains secteurs qui sortent complètement
nos projets du marché".
"Je pense que ça n'est pas amical et j'irai donc avec
beaucoup d'amitié et d'esprit d'alliés en visite d'Etat à
Washington (...) pour plaider simplement la possibilité d'une
remise à niveau", a-t-il ajouté.
(Reportage Michel Rose, avec John Irish et Elizabeth Pineau;
version française Kate Entringer, édité par Sophie Louet)