par Benjamin Mallet
LA HAGUE, 3 février (Reuters) - Dans un atelier de
l'usine Orano de La Hague, en Normandie, des techniciens
utilisent des bras mécaniques téléguidés pour remplacer un tube
indispensable au traitement des déchets nucléaires français,
derrière des hublots de verre et de plomb qui leur permettent de
voir à l'intérieur d'une cellule hautement radioactive.
C'est l'une des multiples interventions nécessaires au
maintien en fonctionnement de La Hague, pièce maîtresse de la
gestion française des combustibles usés, aujourd'hui confrontée
à son vieillissement et à un risque de saturation de ses
piscines de refroidissement.
L'avenir de la filière de traitement-recyclage fait partie
des interrogations majeures du projet de construction de
nouveaux réacteurs nucléaires en France. Vendredi, le sujet sera
abordé lors d'un Conseil de politique nucléaire présidé par
Emmanuel Macron, a indiqué l'Elysée.
Le pays "ne peut pas avoir une politique responsable en
matière de nucléaire sans s'occuper de la gestion du combustible
et des déchets, c'est un sujet qu'on ne peut pas mettre sous le
tapis", estime un conseiller du gouvernement interrogé par
Reuters.
"On a de vraies compétences et une vraie avance
technologique, notamment sur les Etats-Unis. La Russie est le
seul autre pays à pouvoir faire la même chose que la France en
matière de traitement-recyclage", ajoute cette source.
Concernant le stockage des matières non recyclables, il
s'agira d'adapter le projet Cigéo de Bure (Meuse et
Haute-Marne), qui ne commencera à accueillir les déchets
français les plus radioactifs qu'à partir des années 2080.
Pour investir dans le renouvellement de ses usines qui
atteindront 50 ans d'exploitation au cours de la décennie 2030,
voire en construire de nouvelles, Orano demande quant à lui de
la visibilité sur les projets de l'Etat au-delà de 2040, date
après laquelle la poursuite du traitement-recyclage français
n'est pas assurée.
ORANO VEUT PLAIDER SA CAUSE
L'ex-Areva défend le maintien du processus, dont il souligne
qu'il permet de d'économiser de l'uranium naturel et de réduire
les volumes de déchets à stocker.
Le groupe veut engager des discussions avec l'exécutif dans
les mois qui viennent et obtenir des décisions dès 2025 pour
programmer et lancer des grands chantiers qui pourraient, pour
certains, mettre près de 15 ans à se concrétiser.
"Orano est prêt à faire des propositions pour aider à cette
prise de décisions. On travaille sur des scénarios de l'usine de
La Hague post-2040. Il y a plusieurs scénarios possibles, mais
ils ne peuvent être travaillés en détail et ne pourront être
affinés que si on a une vision un peu stratégique", a déclaré à
Reuters Jean-Christophe Varin, directeur adjoint de La Hague.
A La Hague, en cette journée de mi-janvier, des chutes de
neige renforcent l'impression d'un site isolé du reste du monde.
A l'horizon, les falaises du bout de la péninsule du Cotentin
plongent à plus de 100 mètres dans la Manche. Au loin, on devine
la centrale EDF de Flamanville et son réacteur EPR.
Avec ses bâtiments austères et ses salles de commande tout
droit sorties d'un épisode de Star Wars, le site évoque
davantage les années 1980 qu'une usine à la pointe des
technologies du nucléaire.
Sans ses quatre piscines d'entreposage, qui permettent de
refroidir les combustibles usés avant de les traiter pour en
extraire les matières réutilisables et les déchets, les 56
réacteurs du pays ne pourraient pourtant pas évacuer puis
remplacer les assemblages d'uranium qui leur permettent de
fonctionner.
RISQUE DE SATURATION
Dans un scénario catastrophe qui verrait un arrêt des
évacuations de combustibles usés vers La Hague, les entreposages
au sein des centrales seraient remplis au bout de douze mois et
les réacteurs devraient donc s'arrêter, ce qui a conduit la Cour
des comptes, en 2019, à qualifier le site de "point de
vulnérabilité important du fonctionnement actuel du cycle".
Or, les piscines de La Hague risquent d'être saturées à
l'horizon de 2030. EDF, qui représente plus de 95% de l'activité
de recyclage d'Orano, envisage d'en construire une nouvelle pour
un montant de 1,25 milliard d'euros. Mais l'installation n'est
prévue que pour 2034, ce qui va nécessiter d'augmenter le nombre
d'assemblages de combustibles dans les bassins existants en
attendant.
Le risque de saturation tient au fait que le "cycle"
nucléaire à la française ne permet aujourd'hui qu'une seule
réutilisation des combustibles issus du retraitement, à savoir
le Mox - fabriqué dans l'usine Orano Melox de Marcoule (Gard) -
et l'uranium de retraitement enrichi, qui implique des allers et
retours de matières avec la Russie.
Un nouveau recyclage n'est pas envisagé avant la deuxième
moitié du siècle. D'ici là, ces combustibles viennent donc
remplir les piscines d'Orano, qui y entrepose chaque année
davantage de matières qu'il n'en prélève.
"L'ENVELOPPE DÉPEND DE CE QUE VOUS VOULEZ FAIRE"
"Si on devait faire du traitement de combustible Mox en
grandes quantités, l'usine n'est aujourd'hui pas adaptée",
souligne le directeur adjoint de La Hague.
Jean-Christophe Varin évoque le besoin potentiel de nouveaux
investissements "conséquents" sur le site mais se refuse à
donner des ordres de grandeur.
"L'enveloppe dépend de ce que vous voulez faire. Pour faire
du mono-recyclage, vous pouvez partir sur des briques
technologiques qui existent déjà. Pour du multi-recyclage, les
briques technologiques ne sont pas les mêmes, donc les enjeux de
modernisation ou même de remplacement des installations ne sont
pas les mêmes."
A court-terme, le premier enjeu consiste à garantir le
fonctionnement du site Orano de La Hague jusqu'en 2040. Pour la
seule période 2015-2025, il aura nécessité près de 300 millions
d'euros d'investissements par an.
(Avec America Hernandez, édité par Matthieu Protard)