France

PARIS (awp/afp) - Lucien Ebata, conseiller spécial du président du Congo-Brazzaville Denis Sassou Nguesso, a-t-il détourné massivement l'argent du pétrole congolais ? C'est ce que soupçonne la justice française, qui s'intéresse depuis dix ans à ce négociant.

Egalement patron de la société de négoce en pétrole et produits raffinés Orion Group, M. Ebata est dans le viseur des enquêteurs français depuis 2012.

Selon un rapport du Service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF) datant de 2019, dont l'AFP a eu connaissance, il a été intercepté en janvier 2012 à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle avec en poche 182.000 euros et 40.000 dollars en liquide non déclarés.

Cette découverte a mené à l'ouverture d'investigations qui ont permis de déceler d'autres transferts massifs d'argent, également non déclarés, sur lesquels Libération a récemment écrit plusieurs articles.

En 2013 et 2014, il est visé par deux fiches S le signalant en particulier comme un "membre d'un réseau de criminalité organisée spécialisé dans le blanchiment d'argent".

Le parquet national financier (PNF) se saisit de l'enquête en 2016, place sur écoute les lignes téléphoniques de M. Ebata et de plusieurs de ses proches, et mène des perquisitions dans les domiciles français de certains protagonistes.

Les enquêteurs mettent notamment la main sur une tablette et un agenda appartenant à un certain Ted T., directeur des finances d'Orion Oil Ltd, qui consignent entrées d'espèces, remises de fonds à diverses personnes et dépenses.

La société de Ted T., filiale d'Orion Group, achète du pétrole brut exclusivement à la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), entreprise d'Etat, et lui revend du pétrole raffiné.

"Personnalités influentes"

Les fonds non déclarés provenaient-ils de la filiale ?

"Quelle que soit sa provenance (Monaco, Kinshasa ou Brazzaville), cet argent semble provenir de comptes en banque de +Orion Oil+ et financer le train de vie important de Lucien Ebata et celui de ses proches, les frais liés à ses sociétés mais aussi à couvrir certaines dépenses réalisées au profit de personnalités influentes" dans la banque et le trading pétrolier, estiment les enquêteurs du SEJF.

Ils soupçonnent la filiale d'avoir surfacturé ses ventes de produits pétroliers raffinés aux dépens de la SNPC et d'avoir remis des espèces à des officiels congolais, notamment de l'entreprise d'Etat.

"La société Orion Oil est une société étrangère dont les relations contractuelles ne sont pas régies par le droit français", a commenté auprès de l'AFP Me Antoine Vey, avocat de M. Ebata. "Les juges français n'ont d'ailleurs aucune compétence à enquêter et à réguler le fonctionnement d'un Etat étranger, et ses relations avec une entreprise étrangère."

Dans l'information judiciaire ouverte par le PNF en mai 2020, M. Ebata est mis en examen en octobre 2021, notamment pour blanchiment de capitaux et corruption.

Deux fonctionnaires de la police aux frontières françaises (PAF) sont également mis en examen peu après pour corruption, soupçonnés d'avoir reçu des sommes d'argent conséquentes en espèces de la part de M. Ebata et de Ted T.

Les policiers, un homme et une femme, sont suspectés d'avoir en contrepartie fait preuve de "bienveillance" lors du passage aux frontières de M. Ebata, selon un rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) de mars 2022.

Financement politique ?

Libération s'interroge aussi sur le possible financement de personnalités congolaises et occidentales, notamment françaises, par cet argent.

Selon des écoutes judiciaires dévoilées par le quotidien et évoquées dans le rapport de synthèse du SEJF de 2019, M. Ebata a raconté à son épouse qu'il aurait été approché fin 2016 par l'entourage de l'ex-Premier ministre français Manuel Valls pour une participation financière à sa campagne présidentielle.

"En l'état actuel des investigations (...) aucun élément matériel collecté ne démontre de la concrétisation de ce projet", écrivent toutefois les enquêteurs à l'époque.

Contacté par l'AFP, M. Valls a démenti "clairement ces propos", dénoncé "des allégations fantaisistes et mensongères" et annoncé avoir porté plainte pour diffamation contre Libération.

Dans ces mêmes écoutes judiciaires, l'homme d'affaires congolais impute aussi dans une discussion avec son épouse un rôle à Cédric Lewandowski, ex-directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian au ministère de la Défense, dans la levée d'une de ses fiches S.

Contacté par l'AFP, M. Lewandowski, désormais vice-président d'EDF, n'a pas souhaité faire de commentaires.

"Les accusations de financements politiques ne sont pas étayées, et ne figurent d'ailleurs pas dans les chefs de la mise en examen de M. Ebata", a observé Me Vey.

L'avocat a indiqué avoir été mandaté pour déposer deux plaintes, l'une pour violation du secret de l'instruction et l'autre contre Libération "dont les parutions contiennent des éléments inexacts et diffamatoires".

Le Premier Ministre congolais Anatole Collinet Makosso, lors d'un récent échange avec la presse, a qualifié l'enquête de Libération de "non- événement".

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