Le mois de février a l'air d'avoir réveillé EssilorLuxottica, dont le cours est passé de 117 à 132 EUR en l'espace de quelques jours, par l'entremise de sept séances de gains sur les huit dernières journées boursières. L'action n'a pas retrouvé ses niveaux records du début de l'année 2020, au-dessus de 140 EUR, mais il faut bien reconnaître qu'elle n'en est plus très loin, alors que la vie du groupe franco-italien (ou italo-francese selon le côté des Alpes où vous vous trouvez) est loin d'être un long fleuve tranquille depuis le rapprochement du roi de l'optique ophtalmique et du champion de la lunette de soleil.

En plus des déboires nationalisto-capitalistico-egocentrico-managériaux initiaux, l'édifice a dû affronter une première opération de croissance externe d'envergure mouvementée, pour ne pas dire calamiteuse. D'ailleurs, elle est toujours pendante, ce qui n'est pas si mal quand on pense qu'elle avait tout l'air d'avoir capoté durant l'été, lorsqu'EssilorLuxottica avait tiré à boulets rouge sur les dirigeants de GrandVision, les accusant de faire de la rétention d'information sur la stratégie mise en place pendant le premier confinement. Après ces attaques ponctuées d'une escalade de procédures juridiques, on ne donnait pas forcément cher de la transaction à 7,2 Mds€ qui avait été annoncée plusieurs mois auparavant, même si les parties prenantes continuaient à clamer qu'elle irait au bout.

EssilorLuxottica se rattrape
Rattrapage en cours ?

Or voilà que l'Agence Reuters a apporté aujourd'hui quelques éléments nouveaux qui vont dans le sens de l'histoire, sur la foi de l'habituelle "source proche du dossier". Ains le groupe aurait accepté de céder des actifs dans trois pays de l'Union européenne en échange du feu vert de l'antitrust. C'est un document publié sur le site de la Commission qui le confirme. Ou plutôt, la source a indiqué que des cessions d'actifs dans trois pays étaient prévues, parce que les fichiers de l'UE annonçant l'avancement des procédures nécessitant la bénédiction de l'antitrust sont assez austères et peu détaillés, comme vous pouvez le juger ici. Initialement, Bruxelles voulait la cession de magasins en France (où GrandVision est connu via ses marques Générale d'Optique, GrandOptical et Solaris), en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas. Un pays échappera-t-il au couperet ? La décision finale est prévue d'ici au 12 avril. Jusqu'ici, les analystes s'accordaient à penser qu'il faudrait céder environ 15% des 7000 magasins GrandVision pour éviter les foudres antitrust.

Notez qu'en parallèle de cette procédure de droit communautaire, un bras de fer de droit privé persiste entre le prétendant et sa cible. La justice néerlandaise doit ainsi se prononcer sur les termes de l'accord de rachat, en appel. Un arbitrage est par ailleurs en cours. Mais les parties ont continué à affirmer leur volonté d'aller de l'avant. GrandVision l'a encore fait le 22 janvier lors de la présentation de ses revenus 2020.

Une stratégie bien définie

Luca Solca, maître-és luxe chez Bernstein, souligne que la finalisation de l'opération GrandVision reste importante pour EssilorLuxottica, car "l'intégration dans l'aval de la distribution est stratégique" pour le Franco-Italien. Pour l'analyste, GrandVision n'est peut-être pas l'acteur le plus intéressant en Europe dans le secteur, mais il a l'avantage d'apporter une opportunité rapide et massive de vente directe au consommateur des produits du groupe.

L'idée est de parvenir à un contrôle du marché du type de celui qui a été mis en place aux Etats-Unis vingt ans plus tôt. Actuellement, environ la moitié des ventes du groupe outre-Atlantique sont réalisés par les détaillants et le solde par les grossistes. En Europe, la proportion est de 10% / 90%. C'est important parce que le contrôle sur les prix et sur les marges est très différent. "Le passage du commerce de gros au commerce de détail permettra à EssilorLuxottica d'assurer une exécution plus disciplinée des prix - c'est essentiel pour vendre en ligne à plein prix et préserver l'image de marque", poursuit Luca Solca, en rappelant qu'on peut actuellement trouver une paire de Ray-Ban à 145 EUR sur Amazon.com alors qu'elle est à 186 EUR sur RayBan.com en Europe.

Les notations Surperformance montrent bien le défi auquel la société est confrontée : croissance modeste, valorisation et PER tendus, rendement minimes et révisions de résultats inférieures à très inférieures à la moyenne. Mais les clarifications apportées à l'automne au niveau du management, la cyclicité de l'activité et la perspective de voir le feuilleton GrandVision se terminer favorablement peuvent contribuer à prendre un nouveau départ, deux ans après la publication des premiers comptes communs d'Essilor et Luxottica.