EssilorLuxottica a levé un milliard d’euros à un taux de 2,625%. Worldline, de son côté, a dû promettre 5,5% pour collecter 500 millions. Forvia les bat en versant 5,625% pour seulement 250 millions.
A première vue, on pourrait croire que le marché est injuste. Pourquoi diable Worldline doit-elle payer deux fois plus qu’Essilor pour emprunter deux fois moins, sur la même durée ? Une histoire de karma boursier ? Pas vraiment.
Tout cela tient à ce qu’on appelle la "qualité crédit". En langage simple : la confiance que les investisseurs accordent à une entreprise pour rembourser sa dette. Plus cette confiance est forte, plus l’entreprise peut emprunter à bas coût. Moins elle inspire confiance, plus elle doit payer cher pour attirer les prêteurs. C’est un peu comme dans la vraie vie : on ne prête qu'aux riches.
EssilorLuxottica, c’est le voisin en costard-cravate, stable, mondialement implanté, avec des lunettes bien posées sur le nez. Côté agences de notation, la société est classée "A" par Standard & Poor's. Petit rappel : une agence de notation est un organisme indépendant qui évalue la solidité financière d’une entreprise ou d’un État, notamment sa capacité à rembourser ses dettes. Elle attribue une note, allant de AAA (excellente qualité) à D (défaut de paiement) en ce qui concerne l'échelle de S&P. Ces notations fournissent les bases des emprunts obligataires, même si les agences ont été décriées par le passé pour leur mauvaise perception du risque de certains produits, notamment avant la crise de 2008.
Donc EssilorLuxottica est noté A, ce qui constitue le haut du panier. La société emprunte à bas coût.
Worldline, malgré son statut de poids lourd du paiement, a récemment été secouée par des alertes sur sa croissance et son niveau d’endettement. S&P a réduit la notation crédit de la société à "BBB-" en 2023. "BBB-", c'est un niveau important parce que c'est le cran le plus bas de la catégorie dite d'investissement. En dessous ("BB+"), la dette est classée en catégorie spéculative, dite aussi "pourrie" (junk). Les sociétés junk paient leurs emprunts encore plus cher et n'ont pas accès à certains investisseurs qui ne sont pas autorisés, statutairement, à s'exposer à de la dette de mauvaise qualité.
Quant à Forvia, on est déjà en catégorie spéculative. La notation S&P de la dette est "BB-", c’est-à-dire trois crans sous la catégorie d'investissement (en effet, la remontée passe par BB, BB+ puis BBB-). L'équipementier automobile a été dégradé en mars dernier (de BB à BB-, justement), parce que le secteur auto va mal et que le groupe s'est endetté pour racheter Hella.
Mais attention : le taux d’une obligation ne dit pas tout. Il reflète aussi d’autres paramètres, comme la liquidité de l’entreprise, les clauses du contrat obligataire, la fiscalité applicable, voire l’appétit du marché à un instant T. Cela reste un subtil cocktail entre confiance, risque et opportunité. Mais on l'aura compris :
- EssilorLuxottica peut emprunter beaucoup à taux faible parce que les porteurs d'obligations sont presque certains de récupérer leur mise dans 5 ans.
- Pour Worldline, même si la société n'est pas dans une phase positive, le risque de défaut est très faible donc les investisseurs sont présents, mais ils demandent une rémunération plus élevée pour s'engager.
- Quant à Forvia, la probabilité de défaut est là encore faible, mais les acheteurs d'obligations demandent une rémunération du risque encore plus élevée parce que la société est moins solide : elle emprunte donc moins, pour plus cher que ses congénères.
Pour creuser le fonctionnement du marché obligataire, c'est dans "Comprendre les obligations et le marché obligataire".