Lancé en 2006, coté en 2015, Evolution sert désormais 150 établissements en Europe. Sa technologie leur permet de monétiser leurs clientèles sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en ligne, sur ordinateur et mobile.

Graphique Evolution AB

En pratique, ladite technologie est tout à fait basique : il s'agit de reproduire les salles de jeu en studio et d'assurer la diffusion des parties en direct, tandis que les transactions restent gérées par les casinos. Formés par Evolution, les croupiers font face aux caméras et interagissent avec les joueurs via les traditionnels canaux de chat et de visioconférence.

La formule a fait mouche auprès des joueurs — qui n'ont plus à se déplacer pour parier — et des casinos, puisqu'elle permet à ces derniers d'élargir significativement leurs audiences, et de maintenir un lien privilégié avec leurs habitués.

Evolution opère comme un sous-traitant qui développe, produit et licencie les salles de jeu virtuelles. Ce sont toutefois les établissements eux-mêmes qui assurent le recrutement des utilisateurs ; ils reversent ensuite des commissions fixes (pour la prestation technique) et variables (selon les volumes pariés) à Evolution.

Un tel positionnement distingue la société suédoise d'un comparable comme Betclic, par exemple, puisque la première ne supporte ni le coût d'acquisition des utilisateurs, ni le développement — nécessairement complexe — d'une plate-forme de paris en ligne ; à la manière d'un producteur de contenus, elle se contente d'assurer le show sans s'encombrer de ces coûteuses contraintes commerciales et techniques.

Le modèle d'affaires reste donc exceptionnellement souple, et très peu capitalistique, d'où la rentabilité des capitaux propres (70%) hors du commun. Ajustable à l'envi, la structure de coûts est aux deux tiers liée à l'emploi du personnel, et au quart à la production de contenus.

En parallèle, une position compétitive privilégiée — sans doute héritée du "first-mover avantage" — et un concept facile à monter en échelle permet à la société de réaliser des marges d'exploitation généreuses, supérieures à 35% sur les deux derniers exercices.

Totalement autofinancée, la croissance des ventes et des profits n'est pas moins sensationnelle : le chiffre d'affaires a été multiplié par six (de 39 à 245 millions d'euros) entre 2013 et 2018, et le profit cash par dix-sept sur la même période (de 4 à 67 millions d'euros).

L'exercice 2019 semble bien engagé, nonobstant un léger recul du rythme de croissance annualisé (+45% sur le premier semestre vs. +55% sur les exercices précédents). La croissance des profits d'exploitation demeure pour l'instant intacte (grosso modo +65%, en ligne avec les exercices précédents) ce qui atteste de la souplesse du modèle d'affaires.

L'industrie du jeu en ligne croît d'environ 10% par an. Pour l'instant, Evolution survole ce contexte porteur, soit une performance d'autant plus remarquable que les deux tiers de ses clients sont situés en Europe, sur des marchés durement régulés.

Il résulte de ces différentes dynamiques un bilan très sain — d'aucuns diraient surcapitalisé — avec une trésorerie qui, à la fin de l'année dernière, couvrait l'ensemble des dettes et créances. Ceci devrait offrir au management une appréciable latitude si d'aventure il fallait lever du capital pour réaliser une grosse acquisition.

Au niveau des risques, le récent fléchissement des rythmes de croissance — observables de manière plus prononcée chez NetEnt, le principal concurrent d'Evolution — fait craindre le début d'une possible saturation du marché. L'instauration de nouvelles législations, par exemple pour prévenir l'accès de mineurs aux plates-formes de jeu en ligne, pourrait aussi desservir la croissance.

Ces risques sont à mettre en perspective avec le boulevard d'opportunité toujours grand ouvert : en Europe, seule 5% de l'industrie du jeu est "virtualisée" ; il reste à ce titre une marge de progression significative.

Par ailleurs, Evolution vient à peine d'entrer sur le marché américain, pour l'instant verrouillé puisque seul l'Etat du New Jersey autorise les casinos à exploiter des plates-formes virtuelles ; une législation assouplie serait bien sûr très bien accueillie par Evolution.

Enfin, si de nouvelles législations pourraient en effet peser sur la croissance, elles devraient aussi dissuader de nouveaux entrants, et conforter la position des acteurs existants. Dans ce registre, avec près de la moitié des parts de marché de la virtualisation des salles de jeu en Europe, Evolution fait a priori office de référence ; la société revendique par ailleurs n'avoir jamais perdu le moindre client.

En réalité, le principal risque, au-delà d'une possible saturation du marché, réside dans l'émergence d'une concurrence à bas coût, capable de reproduire la plate-forme d'Evolution à un tarif inférieur — vu le profil de marge de l'intéressée, il y a sans doute matière à rivaliser sur les prix.

Notons que le management détient un cinquième des actions, et que le conseil d'administration vient de se prononcer en faveur d'une distribution de dividendes à hauteur de la moitié des profits ; l'allocation du capital apparaît donc raisonnable et disciplinée.

Avec un profit cash ("free cash-flow") d'environ 100 millions d'euros attendu en 2019, et une valeur d'entreprise de 3,2 milliards, Evolution cote à 32x ses profits, soit un multiple semble-t-il en ligne avec sa moyenne historique.

(L'auteur n'est pas actionnaire.)