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PARIS (awp/afp) - Le discours anti-vaccin a profité de la pandémie pour élargir son audience via les réseaux sociaux: autrefois cantonné à des communautés restreintes, il s'est répandu auprès d'un public inquiet d'un virus méconnu, au risque d'entraver les campagnes vaccinales.

Depuis toujours, les mouvements anti-vaccins "ont compris l'intérêt de la bataille de l'information", explique Laurent-Henri Vignaud, historien des sciences français et co-auteur du livre "Antivax" (Vandémiaire éditions, 2019). A l'inverse, les autorités de santé "ont souvent une guerre de retard", ajoute-t-il, car "partant du principe que la vaccination est utile à la collectivité".

Porté depuis la fin des années 1990 par une étude suggérant un lien entre la vaccination ROR (rougeole, oreillons, rubéole) et l'autisme, pourtant maintes fois démystifiée, le mouvement anti-vaccin se démocratise pour sortir de communautés de niche (religieuses, groupes de mères de famille, certaines franges environnementalistes, etc...).

Les comptes Facebook colportant de fausses informations sur les vaccins ont vu leur nombre d'abonnés exploser l'an passé, selon une étude de la BBC publiée fin mars sur sept pays (Brésil, Mexique, Inde, Ukraine, France, Tanzanie, Kenya). En France, des pages partageant du contenu anti-vaccin ont reçu près de quatre millions de likes (+27%, une croissance trois fois plus rapide qu'en 2019, mais comparable à 2018).

Ces théories ne sont plus limitées à "des groupuscules marginaux" mais "entrent en résonance avec le mouvement des Gilets Jaunes, les libertariens, les groupes New Age", créant des alliances "idéologiquement incongrues", explique l'ONG de lutte contre la désinformation First Draft qui a réalisé une étude à l'été 2020 sur environ 14 millions de publications en lien avec la vaccination.

Le message anti-vaccin trouve un fort écho chez les partisans des extrêmes, droite ou gauche, et chez les abstentionnistes, note Florian Cafiero, sociologue au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Et les théories du complot - Nouvel ordre mondial, agenda transhumaniste, ou même QAnon - "incorporent les vaccins dans leurs récits, pour faire en sorte de rester pertinentes", note Seb Cubbon, chercheur-analyste pour First Draft.

Confinés et connectés

Ce discours anti-vaccin est porté par quelques figures emblématiques très actives. En observant des milliers de tweets en anglais, des chercheurs de l'Université de Zurich ont trouvé que le contenu anti-vaccin était produit par une petite fraction d'utilisateurs tout en bénéficiant d'un fort taux d'interactions.

Quelque 65% du contenu anti-vaccin en ligne publié en février et mars peut être attribué à douze "créateurs extrêmement influents", selon l'ONG américaine Center for Countering Digital Hate. Parmi eux, l'avocat Robert F. Kennedy Jr, neveu de l'ancien président.

Confinée, désireuse de comprendre cette maladie qui a sidéré le monde, la population a cherché ses informations en ligne. Mais le déficit de connaissances disponibles, les erreurs dans la communication officielle - par exemple sur le masque jugé inutile dans un premier temps -, un manque de culture scientifique, ont ouvert la porte à la désinformation.

La nouveauté des vaccins utilisant la technologie inédite de l'ARN messager, leur arrivée rapide sur le marché, nourrissent la défiance, tout comme la révélation, une fois les campagnes commencées, d'effets secondaires plus graves que prévu pour AstraZeneca et Johnson & Johnson.

Les infox prennent parfois sur internet la forme de productions soignées comme le documentaire "Hold-Up" en France qui dénonçait une "manipulation globale" autour de la pandémie dont les vaccins feraient partie, engrangeant des millions de vues. Elles s'invitent dans le débat public, relayées aussi par des personnalités politiques, des célébrités, des influenceurs.

Vaccins accusés d'être inefficaces voire mortels par des "médecins" anonymes, fausses vidéos de vaccinés morts après injection ou données de pharmaco-vigilance détournées: l'AFP a rédigé pas moins de 700 articles de vérification sur les vaccins. Les grandes plateformes comme Facebook, Twitter ou YouTube ont accéléré la chasse aux contenus anti-vaccins et aux fausses informations en 2020, tout en promouvant les recommandations des autorités sanitaires.

Nuisance difficile à évaluer

En septembre, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et plusieurs agences onusiennes se sont inquiétées d'une surabondance d'informations qui rend "difficile pour chacun de savoir ce qu'il faut faire".

Les effets de l'"infodémie peuvent être tragiques", rappelle Christine Czerniak, qui s'occupe de la question à l'OMS. Des personnes sont mortes d'avoir suivi des conseils trompeurs pour combattre le Covid, empoisonnées par la consommation de méthanol ou l'utilisation incorrecte de produits de nettoyage.

Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) cartographie et prépare le terrain des futures campagnes vaccinales, explique Sarah Lister, cheffe de la gouvernance: lancement d'un observatoire sur l'acceptation du vaccin en Uruguay, travail avec les chefs religieux en Somalie, formation de journalistes à la gestion de la désinformation au Sierra Leone.

Les effets de cette désinformation restent difficiles à évaluer, d'autant que les campagnes de vaccination dans le monde sont à des stades très différents. Les sondages montrent que les mentalités peuvent vite évoluer.

L'exposition à une information fausse ou trompeuse tend à diminuer la volonté de se faire vacciner de plusieurs points de pourcentage, selon une étude de chercheurs britanniques du Vaccine Confidence Project publiée en mars dans la revue Nature.

Une volonté qui "n'est pas statique" selon eux, mais "très réactive aux informations et à l'opinion concernant un vaccin Covid-19, ainsi qu'à l'état de l'épidémie et au risque perçu de contracter la maladie".

L'impact "est plus complexe qu'une réaction binaire", nuance Seb Cubbon. Ainsi la désinformation a été massive sur les vaccins ARN (qualifiés régulièrement de "thérapie génique") et en particulier Pfizer. Pourtant, ce dernier est désormais davantage désiré, en particulier face aux inquiétudes relatives à l'AstraZeneca.

"Si trop de personnes ne se vaccinent pas", rappelle Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale en France, "nous n'arriverons pas à atteindre la couverture vaccinale nécessaire pour parvenir à l'immunité de groupe, condition de la levée des gestes barrières et des mesures de freinage de l'épidémie".

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