Dans la ville orientale de Wenzhou, Shi Xiaomin, propriétaire d'une usine qui exportait avant la crise sanitaire des milliers de costumes et de blazers en Corée du Sud, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis, a cru être soulagé quand son entreprise a rouvert le mois dernier après une longue fermeture liée à l'épidémie survenue en décembre dans le centre de la Chine.

Mais sa joie fut de courte durée. Au cours de la semaine dernière, les demandes d'annulation de commandes ou de report de livraison de la part de ses clients européens et américains ont afflué, le virus faisant à présent des ravages dans le reste du monde, ce qui affecte les économies des partenaires commerciaux de la Chine.

"L'arrêt sans précédent de l'activité économique en Europe, aux Etats-Unis et sur un nombre croissant de marchés émergents va certainement provoquer une sévère contraction des exportations chinoises, probablement de l'ordre de 20% à 45% en rythme annuel au second trimestre", a déclaré Thomas Gatley, analyste au cabinet d'études Gavekal Dragonomics.

Shi Xiaomin raconte que son fournisseur de tissus en Italie, durement touché par la crise, a suspendu ses opérations dimanche, le privant ainsi de matières premières, alors que son stock ne pourra tenir que jusqu'à fin avril.

L'homme d'affaires estime qu'il n'a désormais d'autre choix que de ralentir sa production et qu'il pourrait même suspendre celle-ci si la situation ne s'améliore pas.

Il a déjà demandé à la cinquantaine de salariés, toujours confinés dans la province du Hubei, berceau de l'épidémie, de se trouver un autre emploi.

"Nous savons que cette année est mauvaise et que l'année prochaine sera meilleure, mais la question est de savoir combien d'usines pourront survivre jusqu'à l'an prochain?", s'est-il interrogé.

Un vendeur dans une usine de miroirs à Yiwu, dans la province du Zhejiang, a déclaré que des clients américains avaient annulé pour plus de 500.000 dollars de commandes rien que samedi.

"Je pense que l'entreprise commencera bientôt à licencier", a-t-il ajouté.

"PLUS DE COMMANDES AU-DELÀ D'AVRIL"

Au début de l'épidémie de nouveau coronavirus, les économistes tablaient sur une reprise de l'économie chinoise en forme de "V" sur le modèle de ce qui avait été observé pour le SRAS en 2003. Depuis ils ont abaissé leurs prévisions à des niveaux inédits depuis la fin de la Révolution culturelle en 1976.

"Les dernières commandes de l'étranger que nous avons reçues sont pour avril", a déclaré Zhu Hongping, président de Hangzhou Hongli Food, un fournisseur d'aliments précuisinés, qui exporte dans les restaurants au Japon, en Corée du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Normalement, à cette période de l'année, le carnet de commandes s'étale jusqu'en juin ou juillet, a-t-il noté, ajoutant qu'il pourrait être amené à suspendre la production dans trois mois.

Les exportateurs chinois sont en outre exposés à l'évolution constante des mesures de restriction dans les pays où la pandémie fait rage.

Yi-Cheng Sung, gérant d'une usine qui produit des pinceaux de maquillage et des accessoires à Shenzhen, redoute par exemple de ne pas être en mesure d'exporter en cas de fermeture des frontières.

Le taux de chômage urbain en Chine a atteint 6,2% en février, en hausse d'un point de pourcentage par rapport à fin 2019, ce qui constitue un record depuis que le bureau de la statistique a commencé en 2018 à publier des données en la matière.

Dan Wang, analyste à l'Economist Intelligence Unit (EIU), estime que le taux de chômage pourrait encore augmenter de cinq points de pourcentage cette année, soit 22 millions de chômeurs supplémentaires, alors que plus de cinq millions de personnes ont déjà perdu leur emploi entre janvier et février.

Selon Dan Wang, quelque 103 millions de salariés pourraient en outre subir une baisse de salaire de 30% à 50%.

(version française Claude Chendjou, édité par Blandine Hénault)

par Stella Qiu et Ryan Woo