(Rediffusion de l'entretien publié ce jeudi à 07h00)

PARIS (Agefi-Dow Jones)--Gecina, la première foncière de bureau en Europe, s'estime relativement protégée de la crise sanitaire et économique par son portefeuille d'actifs centré sur Paris. La demande de surface se modifie néanmoins, en lien avec la digitalisation du monde du travail qui s'accélère, explique Méka Brunel, la directrice générale du groupe dans un entretien accordé à l'agence Agefi--Dow Jones. Confortée dans son positionnement premium, l'entreprise affiche aussi des ambitions dans l'immobilier résidentiel, gage de résilience, visant un premier objectif de 10.000 logements en exploitation.

Agefi--Dow Jones : Les résultats semestriels ont montré une résistance de Gecina. Anticipez-vous un impact sur les valeurs patrimoniales et les loyers ?

Méka Brunel : A ce stade c'est imprévisible, il est impossible de faire des prévisions de cette nature. Nous sommes encore dans l'œil du cyclone. La résilience de nos résultats au premier semestre est le fruit d'un travail effectué très en amont. En 2014, Gecina était un simple collecteur de loyers. Le groupe est devenu en six ans un gestionnaire pro-actif d'actifs, privilégiant le rendement global grâce à la rénovation ou la cession de nos immeubles en fonction de leur potentiel, plutôt que l'accumulation d'actifs. Depuis la fin 2018, nous avons ajouté la notion de services avec le déploiement de la marque YouFirst. L'attrait des entreprises pour la qualité de nos actifs et leur emplacement central permettant la mixité des usages limitent la vacance et expliquent nos bons résultats. Près de 93% de notre patrimoine est situé dans Paris intra-muros, le Croissant Ouest, la Défense et les Hauts-de-Seine.

Agefi--Dow Jones : Constatez-vous une diminution de la demande de bureaux dans votre portefeuille, ou une évolution de cette demande vers des surfaces plus petites?

Méka Brunel : La crise sanitaire a entraîné une crise économique. De ce fait, les entreprises sont dans un processus de réévaluation de leurs besoins au sens large. La demande évolue vers plus d'espace par personne et moins de densification. Nous n'observons pas de mouvement général ou radical. Il peut y avoir une diminution de nombre de mètres carrés demandés de la part des clients, mais qui est davantage la conséquence de la digitalisation du travail qui s'accélère avec la crise sanitaire que du télétravail. La digitalisation entraîne la suppression des métiers administratifs au bénéfice des métiers de services et des métiers à valeur ajoutée.

Agefi--Dow Jones : Dans quelle mesure le télétravail et le "flexoffice" bouleversent-ils votre stratégie ?

Méka Brunel : Cela ne bouleverse absolument pas notre stratégie. Au contraire, ces tendances valorisent encore plus qu'avant l'emplacement, la qualité de nos immeubles, et favorise le développement des espaces de travail partagés ou tiers-lieux. La notion de télétravail implique une réflexion profonde, qui dépasse le simple besoin de travailler de chez soi. Les crises ne créent pas les tendances mais accélèrent le mouvement. Cela fait des années que nous observons trois tendances lourdes. D'abord, la métropolisation et le recentrage autour des hubs de transport et des lieux de vie. Deuxièmement, l'accélération de la digitalisation qui transforme le monde du travail. La troisième tendance est liée à l'urgence climatique, dont nous tenons compte dans nos rénovations et la conception de nouveaux projets bas carbone dans une démarche d'économie circulaire.

Agefi--Dow Jones : La crise sanitaire fragilise-t-elle le modèle du coworking, déjà éprouvé par les difficultés de certains de ses acteurs comme WeWork ?

Méka Brunel : Je ne le pense pas. Comme toute activité nouvelle, le coworking connaît une concentration de ses acteurs et a besoin de s'adapter au bout d'un certain temps. Les lieux de travail partagés comprenant des espaces communs répondent à un besoin d'échanges qui n'est pas remis en cause, d'autant que les acteurs du coworking se situent eux-aussi dans des lieux centraux, attractifs, proches des transports et lieux d'habitation. Le modèle peut évoluer. Les règles sanitaires actuelles obligent à dédensifier. Cela implique de trouver de la distance et donc d'adapter les lieux de convivialité, de réunion, de partage alors que se réduit le nombre de bureaux individuels.

Agefi--Dow Jones : La crise sanitaire incitera-t-elle Gecina à renforcer ses activités résidentielles ?

Méka Brunel : Là encore, la crise sanitaire est un accélérateur. Nous travaillons depuis longtemps dans l'immobilier résidentiel, une activité que nous avons gardée et revisitée et qui dispose de plusieurs atouts. Elle est résiliente, davantage encore que l'immobilier de bureau. Un immeuble d'habitation ne peut se retrouver totalement vacant du jour au lendemain. Les agences de notations ont toutes souligné dans leur analyse du groupe que le fait de disposer d'un portefeuille résidentiel était un gage de résilience. De plus, le logement locatif privé institutionnel répond au déficit de l'offre de logements, protège mieux le locataire avec des baux de 6 ans contre 3 ans pour un particulier, et permet d'accélérer la mise aux nouvelles normes environnementales des immeubles. Les besoins sont là, nous allons continuer à développer ce métier. Nous sommes déjà le plus grand propriétaire privé parisien avec 6.000 logements en exploitation et nous visons un premier objectif de 10.000 logements.

-Propos recueillis par François Berthon, Agefi-Dow Jones. 01 41 27 47 93; fberthon@agefi.fr ed: ECH

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