PARIS (Reuters) - La Cour de cassation française a estimé mardi que le cimentier Lafarge pouvait être mis en examen pour "complicité de crimes contre l'humanité" en Syrie, annulant une décision prise en 2019 par la Cour d'appel d'abandonner cette charge.

Lafarge, qui a fusionné avec le suisse Holcim en 2015, est soupçonné d'avoir versé près de 13 millions d'euros à des groupes terroristes, dont l'organisation Etat islamique, pour maintenir en activité son usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie, en 2013 et 2014.

La cour d'appel de Paris avait invalidé en 2019 la charge de "complicité de crimes contre l'humanité", estimant qu'il n'y avait pas "d'indices graves ou concordants de complicité" de Lafarge dans les crimes commis par l'EI.

Dans son arrêt rendu mardi, la Cour de cassation annule cette décision en faisant valoir qu'on "peut être complice de crimes contre l'humanité même si l'on n'a pas l'intention de s'associer à la commission de ces crimes".

"Dans cette affaire, le versement en connaissance de cause de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l'objet est exclusivement criminel suffit à caractériser la complicité, peu importe que l'intéressé agisse en vue de la poursuite d'une activité commerciale", souligne la Cour.

"Dès lors, la Cour de cassation casse l'annulation de la mise en examen pour complicité de crimes contre l'humanité et renvoie le dossier devant la chambre de l'instruction (de la Cour d'appel, NDLR) afin que la demande d'annulation soit à

nouveau examinée."

Réagissant à cette décision de la Cour de cassation, Holcim a rappelé que Lafarge était seulement mise en examen dans cette affaire, et non condamnée.

LAFARGE DIT COOPÉRER AVEC LA JUSTICE

"La décision prise aujourd'hui par la Cour de Cassation ne présume en aucun cas d'une éventuelle culpabilité de Lafarge", a souligné le groupe suisse dans un communiqué.

"Cette affaire appartient au passé de l'entreprise et nous la gérons de manière responsable", ajoute Holcim, qui assure "coopérer pleinement avec la justice" et avoir pris "des mesures immédiates et fermes" pour éviter que de tels événements se reproduisent.

La Cour de cassation a estimé que seul l'European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) pouvait se constituer partie civile pour complicité de crimes contre l'humanité, en faisant valoir que l'association "promeut le droit international humanitaire, ce qui implique de combattre les crimes de guerre".

L'autre association à l'origine du pourvoi en cassation, Sherpa, a en revanche été déboutée de ce droit.

La Cour d'appel avait retenu dans sa décision rendue en 2019 la mise en examen de Lafarge pour "violation d'un embargo" et "financement d'une entreprise terroriste", un chef d'inculpation contesté par Lafarge mais à nouveau confirmé mardi par la Cour de cassation.

En revanche, la Cour de cassation a annulé la mise en examen pour "mise en danger d'autrui", en l'occurrence des salariés de l'usine syrienne.

Estimant que la Cour d'appel ne pouvait pas "retenir l'applicabilité du code du travail français" aux salariés syriens, elle a demandé à la chambre d'instruction se prononcer à nouveau sur cette charge.

(Tangi Salaün, édité par Blandine Hénault et Jean-Michel Bélot)