Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette réaction pleine de sang-froid. D'abord et avant tout, le fait que les discussions se poursuivent et que les deux parties ont confirmé leur volonté de parvenir à un accord. Après tout, les négociateurs chinois, arrivés hier à Washington, auraient pu boucler leurs valises et repartir illico presto à Pékin. A l'heure où ces lignes sont écrites, ce n'est pas le cas. Les investisseurs, qui doutaient en début de semaine de l'effet tactique du durcissement de la position américaine, paraissent désormais lui accorder du crédit.
 
La seconde explication est un peu plus technique. Concrètement, un porte-conteneur rempli de matériel chinois visé par les droits douaniers entrant dans un port américain après l'horaire fatidique de 00h01 AM le 10 mai (06h01 heure de Paris ce matin) ne verra pas sa marchandise taxée à 25%, mais au taux antérieur de 10%. L'USTC (le Bureau du représentant américain au commerce) a précisé dans une notice que les produits chinois concernés par les surtaxes mises en place en septembre 2018 "qui ont été exportés avant le 10 mai 2019 ne sont pas assujettis au droit additionnel de 25% tant qu'ils sont importés aux Etats-Unis avant le 1er juin 2019". En d'autres termes, les marchandises actuellement en mer restent soumises au taux de 10%. Surtout, cette période courant jusqu'au 1er juin offre près de 3 semaines de négociations supplémentaires pour sceller un accord avant que le nouveau taux n'entre en vigueur.
 

Des conteneurs maritimes (Image de Michael Gaida / Pixabay)
 
Ce qui nous amène au troisième point. La Chine a promis de répliquer et devrait le faire rapidement, dès aujourd'hui ou après le retour de Liu He, le vice-Premier ministre et chef des négociateurs, sur le sol national. Elle risque d'éprouver des difficultés à trouver une enveloppe de rétorsion aussi importante que celle des Américains. L'économiste Iris Pang, chargée de la Grande Chine chez ING, estime que Pékin va chercher à dégager 30 milliards de dollars de surtaxes additionnelles sur des produits américains, soit l'équivalent de la hausse décidée par Washington (200 milliards de dollars * 15%). Toutefois, la spécialiste pense que la Chine aura du mal à suivre au-delà, si la Maison Blanche décide de taxer à 25% le reste des volumes d'échange annuels, soit environ 290 milliards de dollars. "Je pense que la Chine va appliquer un mélange d'outils pour pénaliser les Etats-Unis", explique Pang :
  • En premier lieu une surtaxe sur la totalité des biens américains expédiés en Chine. Mais la balance est très déséquilibrée, puisqu'en 2018 la Chine a envoyé 540 milliards de dollars de marchandises aux Etats-Unis, tandis que le flux inverse se limitait à 120,3 milliards de dollars.
  • Ensuite, en compliquant la tâche des entreprises américaines sur le sol chinois.

Extrait du site internet de l'USTR sur les échanges commerciaux avec la Chine (Cliquer pour agrandir)
 
Mais c'est à peu près tout ce que peut opposer la puissance asiatique. Si l'on excepte bien sûr l'énorme collection de bons du Trésor US détenue par la banque centrale chinoise. Mais Iris Pang ne croit pas que la Chine se délestera à tour de bras de ses T-Bonds, même en cas de rupture des discussions. Cela reste bien sûr une arme, estime-t-elle, mais une arme ultime. Par conséquent, le levier de Washington paraît, dans le cadre de ces négociations, plus puissant que celui de Pékin.
 
Mis à la suite, ces trois éléments permettent d'expliquer la réaction modérée du marché ce matin. Mais les investisseurs doivent garder à l'esprit que l'équilibre est fragile et que la volatilité, si elle est un peu retombée ce matin, s'est fortement accrue ces derniers jours.