Paris (awp/afp) - Le géant des médias Vivendi, qui a récemment mis la main sur le groupe Lagardère et le leader français de l'édition Hachette, s'est dit prêt jeudi à céder entièrement sa filiale Editis, numéro deux du secteur, renonçant de fait à un mariage très controversé.

C'est un changement de pied pour Vivendi qui aurait préféré conserver sa filiale, acquise fin 2019 pour 829 millions d'euros. Mais face à la forte opposition des éditeurs concurrents et des libraires, ainsi qu'au probable blocage de Bruxelles face à la constitution d'un acteur trop dominant, le groupe envisage désormais une concession.

Majoritaire au capital de Lagardère après le succès de son offre publique déposée en début d'année, Vivendi n'exerce encore aujourd'hui que 23% des droits de vote dans l'attente de l'autorisation de la prise de contrôle du groupe par les autorités de la concurrence.

Le projet présenté jeudi devra aussi, pour être mis en oeuvre, être accepté par Bruxelles. Il consiste à distribuer les actions d'Editis aux actionnaires de Vivendi, et à introduire dans le même temps la société en Bourse sur le marché d'Euronext à Paris, a expliqué Vivendi.

La méthode rappelle celle utilisée par le groupe en 2021 pour faire remonter 60% de la valeur d'Universal Music Group à ses actionnaires. Mais cette fois, le groupe Bolloré, actionnaire de contrôle du géant des médias, s'est engagé à revendre les actions Editis reçues à un nouvel actionnaire, encore non connu.

Vivendi souhaite ainsi "assurer la pérennité et l'intégrité d'Editis" et "aller de l'avant dans son projet de rapprochement" avec Lagardère, a déclaré le président du directoire du groupe Arnaud de Puyfontaine lors d'une conférence téléphonique avec des journalistes.

Editis emploie environ 2.400 personnes et fédère 53 maisons dans les domaines de la littérature, de l'éducation et de la référence, dont Nathan, Robert Laffont, Plon, Presses de la Cité, 10/18, La Découverte, Cherche Midi.

C'est aussi lui qui détient le dictionnaire Le Robert, l'éternel rival du Larousse, contrôlé par Hachette.

"Vigilance" ___

Cette distribution-cotation d'Editis présente, selon M. de Puyfontaine, l'avantage d'être "rapide et simple" et de ne pas bousculer l'environnement concurrentiel du secteur.

La perspective d'un mariage entre la division édition de Lagardère (Lagardère Publishing, dont Hachette Livre) - qui représente un chiffre d'affaires de 2,6 milliards de d'euros en 2021, dont environ deux tiers à l'international - et Editis (856 millions d'euros), suscitait depuis des mois l'inquiétude de tout le secteur de l'édition.

À deux, ils écrasent le marché français de leur domination, notamment dans des domaines sensibles: 74% de parts de marché dans le livre scolaire, 84% dans le parascolaire, selon des chiffres du Syndicat national de l'édition cités par un concurrent, Antoine Gallimard, très critique de la fusion.

Ce dernier a jugé jeudi que le projet de cession d'Editis n'avait "rien de surprenant au vu des règles européennes de la concurrence et de l'organisation de la filière éditoriale". Dans une déclaration à l'AFP, il a appelé à "la plus grande vigilance" sur "les liens pouvant exister entre le futur actionnaire de référence d'Editis et le groupe Vivendi" et "les risques congloméraux persistants" du fait du rapprochement entre Lagardère et Vivendi.

Michèle Benbunan, la directrice générale d'Editis, filiale de Vivendi, avait de son côté dénoncé début juillet dans un entretien au Monde la "politique-fiction" selon laquelle Vincent Bolloré voudrait contrôler le marché de l'édition dans le but d'exercer une influence idéologique.

L'agence de notation Moody's avait fait l'hypothèse en avril que "Vivendi pourrait tirer un milliard d'euros" d'une hypothétique cession d'Editis.

Le géant français des médias (Canal+, Havas, Prisma Media), qui entend se développer à l'international, a publié jeudi un chiffre d'affaires de 4,9 milliards d'euros pour le premier semestre, en progression de 11% ou 5% à taux de change et périmètre constant.

Son bénéfice net est resté stable sur un an à 491 millions d'euros, la plus-value de cession de Banijay Group avant son entrée en Bourse en juillet étant en partie compensée par la perte de l'opérateur Telecom Italia, dont Vivendi est le premier actionnaire.

afp/rp