Paris (awp/afp) - Jusqu'ici cantonné aux rapports de force financiers et aux jeux d'alliances opportunistes, le conflit actionnarial chez Lagardère est entré sur le terrain judiciaire et les juges devront décider si les deux premiers commanditaires, Vivendi et Amber, peuvent obtenir l'assemblée générale extraordinaire qu'ils demandent.

L'enjeu est énorme pour l'héritier Arnaud Lagardère, car ses deux adversaires, alliés de circonstance pour obtenir la tenue de cette AG, et qui demandent l'élection de quatre nouveaux membres au conseil de surveillance, cumulent près de 44% du capital du groupe et un peu plus de 30% des droits de vote.

Leurs résolutions et leur volonté de faire bouger les lignes sur la gouvernance du groupe pourraient de plus obtenir le soutien d'autres actionnaires importants: le fonds souverain du Qatar (20% des droits de vote), la Caisse des dépôts ou des fonds anglo-saxons.

Lundi, Lagardère - propriétaire de l'éditeur Hachette, du réseau de boutiques Relay et d'un pôle médias encore influent (JDD, Paris Match, Europe 1) - a refusé l'organisation d'une AG exceptionnelle, jugeant que les requérants ne présentaient "aucun motif légitime" et que, de surcroît, la demande arrivait au moment où Lagardère et Vivendi (propriétaire d'Editis) sont concurrents sur le rachat de la même maison d'édition américaine Simon & Schuster.

Avec son statut atypique en commandite par actions (SCA), le groupe Lagardère est à l'abri des offensives actionnariales et son associé-commandité Arnaud Lagardère, qui a hérité ce statut de son père Jean-Luc, peut en exercer le contrôle tout en ne détenant que quelque 7% des parts.

Mais selon l'avocat Stéphane Sylvestre, associé au cabinet Intervista, "le conseil de surveillance a quand même un certain pouvoir au sein de la société" et, parce qu'il assure la gestion, informe l'assemblée générale des inexactitudes et irrégularités des comptes, et autorise les conventions réglementées entre la société et le gérant", les actionnaires qui y prendraient place pourraient "mener la vie dure au gérant commandité".

Lundi, Lagardère a pris soin de préciser qu'il examinait l'entrée au conseil de Virginie Banet, la candidate proposée par Vivendi, par ailleurs administratrice de Vallourec.

"C'est quelqu'un de totalement indépendant vis-à-vis de Vivendi et de complètement compétent vis-à-vis de Lagardère", dont elle a été plusieurs années directrice des relations investisseurs, a commenté auprès de l'AFP une source proche du géant des médias.

Que veut Bernard Arnault?

Mais l'étude de ce nom et pas des trois autres proposés par Amber n'a pas manqué d'être interprétée comme une manoeuvre destinée à semer les graines de la discorde entre les deux alliés.

Ceux-ci ont fait bloc dès le lendemain matin en annonçant leur intention de saisir au plus vite le tribunal de commerce et de demander en référé la désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale et de fixer son ordre du jour.

Cette décision, susceptible d'appel, sera-t-elle accordée? Elle l'est "rarement pour les sociétés cotées" et Amber et Vivendi "devront étayer leur demande" et justifier de leur motif d'urgence, note Me Sylvestre.

"S'il n'y avait aucune chance pour qu'elle le soit, Arnaud Lagardère ne se serait pas précipité pour renouveler son mandat de gérant", relève de son côté Colette Neuville, présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires.

Le renouvellement pour quatre ans de ce mandat, sept mois avant son échéance, et "dont on ignore les conditions du vote" cet été par le conseil de surveillance, démontre selon Mme Neuville que celui-ci n'est plus en phase avec les intérêts des actionnaires du groupe dont le capital a largement changé de mains depuis la dernière assemblée générale en mai.

Outrage supplémentaire fait selon elle aux actionnaires, Lagardère a coopté lundi dans son conseil Valérie Bernis, une proche de Nicolas Bazire, directeur général de la holding du milliardaire et patron de LVMH Bernard Arnault.

Ce dernier agit désormais de concert avec Arnaud Lagardère, après s'être porté à son secours en prenant un quart de sa holding personnelle contre quelque 80 millions d'euros, dans un accord devant être finalisé prochainement.

"Bernard Arnault, on voit qu'il prend le pouvoir et on ne sait pas exactement ce qu'il veut en faire ni comment il compte obtenir un retour sur son investissement", a remarqué Mme Neuville.

afp/rp