Dans un article consacré au champagne, Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et à l’INSEEC, évoquait un possible “champagne bashing” dans les mois à venir. Autrement dit, une “raclée” qui renvoie à un dénigrement collectif.
Pourquoi le champagne est-il "bashé" ?
Si vous êtes amateur de champagne, vous avez peut-être remarqué que l’addition est loin d’être celle d’il y a trois ans. Depuis 2022, les prix ont grimpé de 40 % : +20 % pour les prix de l’alcool en bouteille et +20 % pour ceux des intermédiaires. Ces hausses ne peuvent, bien entendu, être simplement justifiées par l’inflation. Les producteurs et les intermédiaires ont tout simplement augmenté leurs marges de façon considérable, comme on peut le voir ci-dessous.
Les marges de Lanson-BCC ont nettement relevé la tête depuis le Covid-19 (source : Zonebourse)

Celles de Laurent-Perrier également

Mais cette stratégie, aussi pertinente soit-elle à court terme, pourrait bien être improductive. Déjà parce qu’à un moment ou un autre – hormis pour des produits très haut de gamme qui échappent aux règles traditionnelles de l’offre et de la demande – les consommateurs pourraient trouver judicieux de se tourner vers des produits alternatifs ou de réduire leur consommation, tout simplement.
Le bashing du champagne est déjà en vigueur, par exemple aux États-Unis, où plusieurs restaurants new-yorkais ont décidé de supprimer de leur carte le champagne Veuve Clicquot, une maison propriété de LVMH. C’est anecdotique à l'échelle globale, mais plutôt révélateur dans le fond.
D’autres problèmes sont pointés du doigt : la standardisation des cuvées alors que le champagne est, par tradition, perçu comme un alcool artisanal, doté d’un caractère propre et d’une authenticité unique à chaque bouteille. Sur le plan sociétal, la mort de plusieurs vendangeurs en 2023, en pleine canicule, a fait couler beaucoup d’encre. Également, le label bio peine à s’imposer dans le champagne.
Tout cela joue sur les ventes, qui ont ralenti l’an dernier avec 271 millions de bouteilles vendues contre 325 millions en 2022, soit -16 %. Dans le même temps, le Prosecco italien et le crémant n’ont jamais aussi bien performé.
Comment se comportent les acteurs cotés du champagne ?
La Bourse de Paris compte six acteurs présents dans le champagne. Trois sont des pure players (ou presque) : Laurent-Perrier, Vranken-Pommery Monopole et Lanson-BCC. L’autre moitié regroupe des acteurs plus diversifiés où le champagne ne représente qu’une part minoritaire, voire très marginale, de l’ensemble du chiffre d’affaires : LVMH, Pernod Ricard et Rémy Cointreau. Nous nous concentrons sur les trois premiers uniquement pour avoir une idée précise de la situation du marché, même si LVMH et ses grandes marques – Dom Pérignon, Krug, Moët & Chandon, Mercier et Veuve Clicquot – jouent le premier rôle en Champagne, et de loin.
1/ Laurent-Perrier
- Produit : champagne
- Maisons principales : Laurent-Perrier, de Castellane, Salon, Delamotte
- Présence géographique : Europe hors France 46 % ; France 18 % ; Reste du monde 33 %
- Qualité de la gamme : milieu / haut de gamme
- Chiffre d’affaires : 313 M€
- Marge opérationnelle : 30,5 %
Laurent-Perrier s’illustre par des marges élevées, fruit de son positionnement sur le segment haut de gamme (44,6 % des ventes). Elles ont quasiment doublé entre 2020 et 2024. Le groupe présente aussi un bilan particulièrement sain par rapport à ses concurrents, avec un endettement maîtrisé représentant environ deux années d’EBITDA.
2/ Vranken-Pommery
- Produits : champagne (62 %), vins rosés (22 %), Porto & autres vins effervescents (16 %)
- Maisons principales : Vranken-Pommery, Heidsieck & Co Monopole, Champagne Charles Lafitte
- Présence géographique : Europe hors France 39 % ; France 35 % ; Amérique du Nord 22 % ; Asie 7 %
- Qualité de la gamme : bas / milieu de gamme (25 % du chiffre d’affaires vendu en grande distribution)
- Chiffre d’affaires : 303 M€
- Marge opérationnelle : 11,5 %
Vranken est positionné sur un marché moins haut de gamme que ses concurrents. 25 % du chiffre d’affaires est réalisé dans la grande distribution en France. Le groupe est aussi lourdement endetté, comme en témoigne le ratio dette nette / EBITDA de 12,5 fois. Dans cet endettement, il est intéressant de noter que plus de 300 M€ sont garantis par des sûretés réelles – les stocks de vins de champagne. Une sorte d’hypothèque appliquée non pas sur des maisons, mais sur des bouteilles de champagne… Nos trois protagonistes utilisent ce levier pour s’endetter.
Cet endettement, couplé à un positionnement à moindre valeur ajoutée, pénalise lourdement le groupe. Le titre est en baisse chronique depuis une décennie et le dividende maintenu autour de 0,80 € par action ne satisfait pas grand monde, d’autant que la société ne parvient pas à générer des flux de trésorerie stables.
3/ Lanson-BCC
- Produit : presque exclusivement du champagne
- Maisons principales : Lanson, Philipponnat, De Venoge, Besserat de Bellefon, Boizel, Chanoine Frères, Burtin, Alexandre Bonnet
- Présence géographique : France 46 % ; Europe hors France 45 % ; Asie 4 % ; Reste du monde 3 %
- Qualité de la gamme : milieu de gamme
- Chiffre d’affaires : 255 M€
- Marge opérationnelle : 18 %
Lanson-BCC est un entre-deux. La dette est plus élevée que chez Laurent-Perrier, mais bien moindre que chez Vranken. Le ratio dette nette / EBITDA ressort à 6,8 fois. Sur les marges le constat est similaire. En bourse, le titre a connu un parcours particulièrement propice depuis le Covid jusqu’à l’année dernière. Depuis, les investisseurs ont intégré les difficultés du marché et le cours évolue désormais assez loin de ses plus hauts historiques.
Pour qui opter ?
Lanson-BCC et Vranken-Pommery Monopole sont en panne de croissance. Les deux entreprises ont profité de l’augmentation des prix depuis le Covid pour améliorer leurs marges, mais la normalisation a commencé l’an dernier, et la tendance actuelle pourrait prolonger cette situation.
L’acteur qui semble le plus solide est indéniablement Laurent-Perrier, dont le positionnement, la santé financière et la progression des résultats sont meilleurs que ceux de ses concurrents.
Les ennuis du champagne s’inscrivent dans un faible dynamisme général pour l’industrie des spiritueux. On le voit chez Rémy Cointreau et Pernod Ricard ou le Cognac et les autres alcools peinent à séduire une clientèle soucieuse de son pouvoir d’achat.
Plus globalement, c’est tout le marché du luxe qui est touché. Les belles années de LVMH, richissime de croissance et de profits pour toutes les divisions semblent dorénavant difficiles à reproduire même si la diversification du groupe – spiritueux, joaillerie, maroquinerie, montres, parfums, etc – ainsi que ses marques prestiges et son intarissable capacité d'innovation et de changement pourrait lui permettre de surprendre.
Evolution des acteurs français du champagne depuis la période Covid (source : Zonebourse)

Pour aller plus loin : Europe - Etats-Unis : qui trinque dans la guerre des alcools ?