L’éditeur de logiciel, né d’un LMBO en 1997 et introduit en Bourse en 2000 à 17€, a une nouvelle fois publié de très bons résultats (Ebitda +3.8%, RN +16% en 2020) malgré une croissance qui se fait toujours attendre (-4% en organique). Dans le cadre de son plan stratégique dont l’horizon est repoussé d’un an, à 2024, la direction, après avoir mis l’accent sur la R&D ces dernières années, accorde un focus particulier sur la conquête de nouveaux clients. Entretien avec le dirigeant-fondateur.

Anvaraly Jiva, pouvez-vous nous rappeler le positionnement de votre société par rapport à la concurrence ?

"Linedata Services est un éditeur mondial de logiciels et un prestataire de services à destination du secteur financier, en particulier l’asset management et le crédit/financement. Nous accompagnons dans 50 pays nos clients gestionnaires d'actifs, traditionnels ou alternatifs, administrateurs de fonds et institutions de crédits et financements, grâce à des solutions innovantes et efficaces. Parmi nos 700 clients, nous pouvons citer par exemple Crédit Agricole CIB, Meridian, Bail Actéa (Crédit Mutuel) ou encore First Bank. Notre position concurrentielle est originale de par notre offre mêlant le logiciel aux services et à la data. Deux acquisitions importantes aux Etats-Unis et en Asie en 2017 nous ont permis de renforcer ce triple positionnement. Nous venons de passer des accords avec les fournisseurs de datas afin de nourrir notre « Data Hub » en données agrégées enrichies par l’intelligence artificielle.

Notre paysage concurrentiel est assez complexe à décrire car il dépend des métiers et des régions. Dans l’Asset Management, les concurrents sont des anglosaxons comme Sungard, Charles River ou Finastra. Le danois Simcorp est également un poids lourd mais nous rencontrons peu ces gros acteurs qui visent surtout de très grands comptes à qui ils adressent une plateforme complète là où nous offrons une offre modulaire complétée par des services.

Pour ces raisons, il m’est difficile de vous indiquer une part de marché. Je peux juste vous dire que c’est dans l’Asset Management en Amérique du Nord qu’elle est la plus significative.  Quant à la dynamique de nos marchés, le marché mondial est attendu en croissance, de l’ordre de 6% par an, l’asset management traditionnel et le crédit étant plus dynamiques que le marché des fonds alternatifs. L’Asie, où nous sommes positionnés mais encore peu significatifs, offre un potentiel important. "

Dans un contexte inédit, Linedata a réalisé une année à son image : d’excellents résultats malgré l’absence de croissance. Est-ce un choix délibéré ou est-ce caractéristique de votre marché ?

"La décroissance de 2020 est essentiellement due à la crise sanitaire qui a eu un impact sur les activités non récurrentes du Groupe (21% de notre CA), telles que le consulting et la customisation des solutions. A contrario, Linedata a enregistré en 2020 ses premières ventes pour ses nouvelles offres (Capital stream, AMP, Ekip360…). Nos coûts ont été très bien maîtrisés car certains ont disparu momentanément (déplacements, évènements, etc.) et car nous avons très vite réagi et réalloué les équipes vers les demandes spécifiques des clients dans le contexte et vers les investissements en R&D pour préparer son avenir dans les meilleures conditions. Enfin, notre Résultat Opérationnel a bénéficié de l’extinction d’amortissement de programmes de R&D et d’une baisse en partie structurelle de notre taux d’IS qui devrait rester faible autour de 28% grâce à deux dispositifs fiscaux en France (baisse de la fiscalité sur les revenus issus de brevets et crédit d’impôt recherche).

Pour revenir à votre question de façon générale, Linedata tient à conserver une marge d’Ebitda élevée : c’est le gage de la pérennité et de l’indépendance de la société. Cela passe par un souci de maîtriser les dépenses et par une grande réactivité face aux imprévus. S’agissant de notre déficit de croissance, il faut reconnaitre que notre offre avait besoin de renouvellement. D’où nos efforts importants à partir de 2015 en matière de R&D qui représente maintenant 35% de l’effectif du Groupe, avec à la clé une offre aujourd’hui renouvelée. Maintenant, il s’agit de le faire savoir, auprès de notre clientèle et de nos prospects. Les premiers résultats sont encourageants, notamment dans l’asset management où notre carnet de commande est en hausse de 20% à fin 2020 grâce au déploiement de ‘Linedata AMP’, une plateforme inédite sur le marché qui offre aux gestionnaires d'actifs un accès instantané et en continu via le cloud aux solutions logicielles, data et services dont ils ont besoin pour accélérer la transformation de leur modèle opérationnel."

Pourquoi avoir décalé d’un an le déploiement de votre plan stratégique ? Quels sont les objectifs chiffrés à l’issue de ce plan ?

"2020 a été une année particulière pendant laquelle nos collaborateurs et nos clients ont demandé beaucoup d’attention. 2021 constitue donc la première année véritablement consacrée à ce plan stratégique qui repose sur trois piliers-clés, l’innovation, les clients et les partenariats, afin de retrouver une croissance pérenne dès 2021. Cela passe par une reprise des recrutements à la fois en intégration (offshore) et en commercial avec une dizaine de postes ouverts à comparer à une centaine de postes actuellement. Cela passe également par le développement de partenariats là où nous faisons tout tout seul afin d’accélérer la diffusion de nos produits sur le marché là où nous ne sommes pas encore (géographies, segments de marchés…)."

Depuis une dizaine d’années, le retour à l’actionnaire, dividendes et rachat d’actions confondu, s’élève à environ 20 M€ par an, l’équivalent des flux de trésorerie disponibles dégagés par la société. Ce mode d’allocation des ressources va-t-il se poursuivre ?

"Le dividende a pour avantage de fidéliser nos actionnaires. Compte tenu d’un bénéfice net par action de 3,09€ en 2020 contre 2,69€ en 2019, il sera proposé à la prochaine Assemblée Générale un retour au dividende de 1.35€ après une année où il avait été ramené à 0.95€. Le rachat d’actions, qui a totalisé près de 40% du capital depuis 2008, a vocation à se poursuivre tant que le cours n’est pas haut et que des blocs à la vente se présentent. Tout en veillant à conserver un flottant significatif."

Etes-vous attaché à la Bourse ?

"Oui, la rigueur que la cotation impose et la notoriété qu’elle apporte sont des atouts importants."

Le niveau d’endettement net du Groupe est maîtrisé à 67 M€ soit 1,5x l’Ebitda. Des acquisitions sont-elles à l’ordre du jour ?

"Linedata est un groupe qui s’est constitué par acquisitions. Cependant, force est de constater que les niveaux de valorisation sont trop élevés aujourd’hui dans le secteur. Nous misons donc plutôt sur nos pépites en interne ou l’acquisition de start up avec la création d’une nouvelle ligne de business à moyen terme." 

Avez-vous prévu votre succession ? Linedata a-t-il vocation à rester une entreprise familiale ?

"Si la décision est aujourd’hui prématurée, je sais pouvoir compter sur la qualité des cadres qui m’entourent, dont mon fils qui est dans la société depuis 10 ans. La transmission familiale de la direction n’est pas inéluctable."

Brève biographie d’Anvaraly Jiva : 

Né à Madagascar d'une famille d'immigrés en provenance d'Inde, Anvaraly Jiva perd son père à 5 ans. Quelques années plus tard, sur fond d'instabilité politique, sa famille quitte Madagascar pour se réfugier en France. Après des études mathématiques, il obtient un diplôme d'ingénieur en informatique qu’il finance lui-même en travaillant.

En 1978, il intègre au sortir de ses études la SSII GSI dont il gravit les échelons jusqu'à promouvoir la création d'une filiale spécialisée en finance en 1985 dont il prend la tête. En 1995, GSI est rachetée par une société américaine et Anvaraly Jiva rachète l’entreprise 1997 via une holding constituée de salariés dont il prend la tête. L'année suivante, la holding acquiert Line Data, fondé en 1978, et BDB. Les sociétés sont fusionnées en 1999 sous la marque Linedata Services et Anvaraly Jiva en devient le président et principal actionnaire. Il détient aujourd’hui 63% du capital avec des salariés de la société.

Notre interviewer, Raphaël Girault, est actionnaire de cette société.