Paris (awp/afp) - Des pratiques anticoncurrentielles graves et de longue durée, affectant des consommateurs parfois vulnérables et empêchant les réseaux d'opticiens de fixer leurs prix: le gendarme de la concurrence français n'a pas mâché ses mots jeudi, en sanctionnant lourdement le lunettier italien Luxottica.

Cette amende de 125 millions d'euros est la troisième la plus élevée cette année infligée par l'Autorité de la concurrence, après les 500 millions exigés du géant américain Google pour ne pas avoir négocié "de bonne foi" avec les éditeurs de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus, et les 200 millions d'euros qui ont sanctionné les pratiques publicitaires du même groupe.

Interrogé par l'AFP, EssilorLuxottica, lui-même né en 2018 d'une fusion houleuse entre Luxottica, premier fournisseur mondial de montures de marques prestigieuses (Prada, Chanel, Ray-Ban...) et le français Essilor, leader mondial des verres ophtalmiques, n'a pas fait de commentaires sur cette décision susceptible de faire l'objet d'un recours, dans l'immédiat.

L'Autorité de la concurrence a sévi après avoir établi, au terme d'une enquête au long cours lancée en 2009, que Luxottica avait imposé de 2005 à 2014 à ses distributeurs, les opticiens de l'Hexagone, des prix de vente au détail dits "conseillés" pour les lunettes de vues et solaires, et conclu avec eux des contrats "interprétés comme interdisant les remises et les promotions".

Cette sévérité s'explique par la "gravité" de pratiques anticoncurrentielles mises au jour: Luxottica a usé de "mécanismes de surveillance et de rétorsion" assimilables à une véritable "police des prix" selon une gérante d'une boutique d'optique citée par la décision, à l'encontre de grandes enseignes nationales telles qu'Alain Afflelou, Krys, GrandVision ou Optical Center, détaille l'Autorité.

"Mesures de rétorsion"

Ces pratiques concernent les lunettes de marques célèbres sous licence avec Luxottica, dont Chanel, Ray Ban, Oakley, Prada, Burberry, Bulgari, Dolce & Gabanna, Armani, Michael Kors, Miu Miu ou encore Ralph Lauren.

Les opticiens qui ignoraient les messages de Luxottica ont subi "des mesures de rétorsion": "retard ou suspension des livraisons de leurs magasins, retrait de l'agrément nécessaire à la distribution de certaines de ses marques ou encore blocage des comptes pour les empêcher de passer commande".

Facteur aggravant, elles ont affecté des consommateurs "pour partie captifs et vulnérables", dans la mesure où "l'équipement en lunettes de vue, comme, dans certains cas, solaires", est une "nécessité", plaide encore le gendarme de la concurrence.

Enfin, en portant sur des "marques notoires", ces pratiques ont causé un "dommage certain à l'économie", affectant la concurrence entre les réseaux d'optique pendant une longue durée, et pénalisant une "part significative" de ces distributeurs.

Deux autres groupes, LVMH et Chanel, se sont vu infliger des amendes plus mineures, de respectivement 500.000 euros et 130.000 euros, le premier pour les deux mêmes motifs, ces pratiques ayant duré de 1999 à 2015, le second pour la seule interdiction de vendre en ligne, de 1999 à 2014. Dans leur cas, les contrats de licence signés par ces entreprises avec Luxottica ont été épinglés.

Contacté, le groupe de Bernard Arnault n'a pas donné suite dans l'immédiat.

Une quatrième entreprise, Logo (pour la marque TAG Heuer), a été épinglée pour avoir restreint elle aussi la liberté tarifaire des opticiens qui vendaient ses produits, mais ayant été placée en liquidation judiciaire en 2016, elle n'a pas été sanctionnée.

EssilorLuxottica, qui dégage une quinzaine de milliards d'euros de revenus annuels, a racheté début juillet une part majoritaire de son concurrent néerlandais GrandVision, créant un mastodonte du secteur.

afp/rp