« Si les trois dernières années ont eu l’effervescence d’un champagne, les millésimes qui s’annoncent auront la longueur et l’intensité des grands vins ». Ces mots sont ceux de Bernard Arnault, emblématique PDG de LVMH, dans le rapport annuel 2023 de la société, publié en mars dernier.

Depuis, le parcours boursier de LVMH a davantage ressemblé à l’éclatement d’une bulle, pour rester sur la thématique du champagne. En effet, le titre a perdu un tiers de sa valeur entre mars et novembre 2024. Et Bernard Arnault, à travers cette formule, avait bien compris ce que nous avons tous constaté par la suite : les « années folles » du luxe sont derrière nous. Après le boom d’activité de la reprise post-Covid, le contre-coup a été rude. L’industrie du luxe a subi la normalisation de l’activité d’une part et le fort ralentissement du marché chinois d’autre part. Cela s’est traduit par une correction importante pour un secteur qui a porté la cote européenne pendant des années.

Chiffre d’affaires en baisse 

LVMH a dévoilé ses résultats pour 2024. Une présentation résumée en une phrase par son PDG : "Une fois n'est pas coutume, je ne parlerai pas d'année record". Et vous aurez donc eu droit à deux citations de Bernard Arnault pour le prix d’une. Le numéro un mondial du luxe a en effet dégagé un bénéfice net de 12,55 milliards d'euros, en baisse de 17% par rapport à 2023. C’est bien en dessous du consensus des analystes qui visait un bénéfice net de 13,52 milliards d'euros.

Le chiffre d’affaires a aussi diminué, ce qui est inédit sur les dix dernières années (si on exclut 2020, année Covid). Même si la croissance organique des ventes (à périmètre et taux de change constants) est positive (+1%). Trois des cinq divisions du groupe ont vu leurs ventes baisser, dont la division phare mode et maroquinerie (Louis Vuitton, Dior) qui génère presque la moitié du chiffre d’affaires. Vins et spiritueux est la division la plus en difficultés (-8%), confirmant ce que l’on observe chez les rivaux comme Rémy Cointreau. Les sujets de stocks ont beaucoup pénalisé cette activité au cours des derniers trimestres. A contrario, il faut souligner la bonne performance de la division distribution sélective, incarnée par Sephora, dont les ventes progressent de 6% en données organiques.

Source : LVMH, résultats annuels 2024

Sur le plan géographique, les ventes progressent légèrement – « low single digit » pour reprendre un vocabulaire d’analystes - aux Etats-Unis et en Europe (25% du chiffre d’affaires pour chacune des deux zones), sont en baisse de 11% en Asie (hors-Japon), et en forte progression au Japon (+28%). Il y a une part de vases communicants puisque la forte demande au Japon a été en partie soutenue par les touristes chinois. Mais on voit bien comment le ralentissement de l’activité en Chine plombe l’ensemble du groupe. L’Asie hors-Japon représentait plus de 30% des ventes en 2023.

Si les performances opérationnelles sont un peu décevantes, la situation financière reste saine. L’endettement net a diminué de 20%, le free cash-flow est proche des niveaux records de 2021. Et la marge opérationnelle (23.1%) est certes en retrait par rapport au 26.5% des trois exercices précédents mais reste bien au-delà des niveaux pré-Covid.

Les limites du pricing power

La publication de LVMH a déçu les investisseurs. Les bons résultats de Richemont, mi-janvier, avaient fait remonter les attentes pour l’ensemble du secteur. Mais l’entreprise suisse est davantage exposé au « hard luxury », c’est-à-dire la bijouterie et joaillerie, segment plus dynamique ces derniers mois. 70% de son chiffre d’affaires se fait dans cette division, notamment grâce à Cartier, numéro un mondial sur ce segment. Et comme indiqué plus tôt, LVMH dépend surtout de sa division mode et maroquinerie, le « soft luxury ».

Au-delà du ralentissement conjoncturel, notamment en Chine, le luxe paye l’addition de sa politique tarifaire passée. Le revers de la médaille des fortes hausses de prix des dernières années - qui ont nettement amélioré les marges - c’est la baisse de la demande. Seuls les Hermès et Ferrari de ce monde, dont les volumes sont très faibles et la clientèle restreinte insensible au prix, peuvent continuellement relever leur prix sans impacter la demande. D’après McKinsey, entre 2019 et 2023, 80 % de la croissance du marché provenait de la hausse des prix. Les augmentations de prix ont probablement été trop fortes par rapport à la valeur perçue par les consommateurs. Autrement dit, des prix plus élevés mais peu d’innovation et de créativité en face. Le management de LVMH a lui-même reconnu que plusieurs de ses marques font face à cet enjeu de « value for money ».

Vers un rebond en 2025 ?

Pour 2025, LVMH se veut optimiste. Les chiffres du dernier trimestre étaient encourageants et la bonne dynamique de la consommation aux Etats-Unis devrait porter un rebond des ventes, même si le marché chinois restera déprimé. La plupart des analystes ne s’attendent pas à une reprise de celui-ci dans les deux prochaines années.

A court terme, les analystes de Zonebourse sont prudents sur le dossier. LVMH est une entreprise profitable et bien gérée, mais le récent rebond du titre a ramené la valorisation sur son niveau de long terme (autour de 26 fois les bénéfices). Le tout avec une croissance qui est désormais moindre. Selon Bain et Company, la croissance du marché du luxe dans le monde devrait être comprise entre 0 et 4% en 2025. Pas de quoi déboucher le champagne.

A plus long terme, l’avenir du groupe dépendra de sa capacité à relever plusieurs défis comme la montée en puissance de Tiffany ou encore la restructuration des activités vins & spiritueux. De plus, LVMH pourrait profiter de l’essor du luxe expérientiel – que nous avons abordé dans un article récent sur Accor -  grâce à sa présence dans l’hôtellerie et la restauration au travers des marques Belmond, Cheval Blanc, Bulgari et Louis Vuitton.