PARIS (awp/afp) - Après avoir bousculé la téléphonie avec Free, l'homme d'affaires Xavier Niel s'attaque à la télévision: il présentera mercredi au régulateur des médias son projet de chaîne pour remplacer M6, une ambition qui laisse dubitatifs nombre d'observateurs.

C'est une première depuis 1987, année de la privatisation de TF1 et de l'arrivée de M6 sur le sixième réseau hertzien: les groupes TF1 et M6, titulaires historiques des canaux 1 et 6 de la TNT, dont les autorisations d'exploitation arrivent à échéance le 5 mai, devront défendre mercredi leur renouvellement en compagnie d'un nouveau concurrent, le milliardaire et patron de presse Xavier Niel.

Jusqu'ici, ces pionniers de la télévision numérique terrestre avaient bénéficié d'un renouvellement de leurs licences sans appel à candidatures et en contrepartie d'engagements auprès du régulateur des médias.

Ils devront compter cette fois avec le projet dit "SIX" de Xavier Niel, huitième fortune de France selon le classement Forbes, porté par la société NJJ Projet 5523, filiale du holding personnel du milliardaire. Elle disposera, comme les autres candidats, d'une heure mercredi pour convaincre l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

"Ce projet ambitieux ne peut être développé que dans les premiers" canaux des chaînes TNT, a estimé la société NJJ Projet 5523 fin janvier dans un communiqué.

Ce qui exclut toute nouvelle candidature pour 2025, année d'échéance de 14 autres autorisations TNT, a-t-elle prévenu, "sauf pour compléter son portefeuille de chaînes en cas de succès lors de la procédure en cours".

"Un nouvel entrant créera une nouvelle dynamique" face à des chaînes historiques "qui proposent souvent les mêmes programmes depuis des années", avait déclaré en novembre Maxime Lombardini, vice-président d'Iliad, maison mère de l'opérateur Free, et président de NJJ Projet 5523, lors d'une audition devant l'Arcom.

Parmi les promesses de la "SIX" version Niel : une programmation "riche en création patrimoniale" (c'est-à-dire en fiction, documentaire, animation, captation/recréation de spectacles vivants, ndlr) en première partie de soirée, une large présence de "l'information et (du) débat public", des "engagements renforcés" envers "la création musicale" et d'un "niveau élevé" dans le "financement de la production audiovisuelle et cinématographique".

"Pas un geste impulsif"

Même si ce projet "n'est pas un geste impulsif" de Xavier Niel, vu que NJJ Projet 5523 a été constituée en décembre 2021, "il n'y a pas une chaîne, de la taille d'une grande chaîne de la TNT, qui se soit montée en deux mois, c'est quand même très compliqué", analyse Philippe Bailly, président-cofondateur de NPA Conseil, spécialiste des médias.

Outre ce calendrier très serré, Xavier Niel se heurte à un obstacle de taille: que deviendrait M6 ? Parmi les scénarios imaginés, M6 pourrait reporter une partie de sa programmation sur ses autres chaînes de la TNT (W9, 6ter, Paris Première et Gulli).

Une option "pas inenvisageable" mais qui obligerait M6 à revoir son organisation. Or si ce groupe est actuellement rentable, le resterait-il en ayant une chaîne écartée, s'interroge M. Bailly.

M6 pourrait continuer sur tous les autres canaux, streaming et satellite, et conserver "au moins 80% de son audience", la seule TNT concernant environ 20% de la population française, envisage pour sa part un expert sous couvert d'anonymat.

Reste l'hypothèse la plus improbable, de l'avis de tous: l'arrêt de M6 et la liquidation de ses actifs.

Charge désormais au régulateur d'éclaircir les nombreuses interrogations autour du projet "SIX", notamment sur ses capacités financières. "Une grosse chaîne demande des moyens importants et, potentiellement, de pouvoir perdre de l'argent" durant plusieurs années, relève Philippe Bailly.

Mais attention à Xavier Niel, prévient un spécialiste des médias, ayant requis l'anonymat, "c'est un industriel redoutable quand il rentre dans un marché fermé".

"Il a toujours su jouer des niches réglementaires, en particulier quand il a obtenu sa licence de téléphonie mobile" avec laquelle il a déstabilisé tous les autres opérateurs, rappelle-t-il.

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