LONDRES (awp/afp) - Devant le camion transporteur où il vient de passer son examen avec succès, sur le parking de son école, Alberto Almeida tient son diplôme de conducteur britannique de poids lourds avec un petit sourire modeste.

"Allez, sois content, tu n'as plus à nous payer de leçon", plaisante son instructeur en prenant en photo l'électricien de 49 ans, qui s'est inscrit pendant les confinements, cherchant un plan B pour sa carrière.

Le sourire d'Alberto s'élargit: "Non, maintenant, c'est aux autres de me payer...".

Alors que les pénuries se multiplient au Royaume-Uni, les conducteurs de poids lourds sont devenus "de vraies rock-star", affirme Laurence Bolton, jeune directeur de l'école National Driving Centre, dans une banlieue populaire du sud de Londres.

Son standard téléphonique explose depuis que les transporteurs font la Une des journaux: le manque de chauffeurs qui sévit à travers le monde est exacerbé au Royaume-Uni par le Brexit, qui empêche le retour des conducteurs d'Europe de l'Est qui sillonnaient le pays il y a encore un an.

Les pénuries touchent aussi bien les supermarchés, où certains rayons de produits frais se vident régulièrement, que les milk-shakes de McDonald's ou les bières dans les pubs.

Depuis fin septembre, les stations-services ont du mal à s'approvisionner en essence en l'absence de chauffeurs aptes à conduire des citernes, un phénomène amplifié par des achats d'automobilistes inquiets et qui devrait persister dans les semaines à venir, préviennent les professionnels du secteur.

Pilotes d'avions

Selon l'Association du transport routier (RHA), il manquerait 100.000 chauffeurs dans le pays. Les camions d'enseignes de supermarchés comme Tesco sont ornées d'invitations à rejoindre leur équipe de conducteurs, certaines entreprises proposent de payer la formation et le gouvernement multiplie les mesures pour remédier à la situation.

Les chauffeurs peuvent désormais conduire de plus longues heures, les détenteurs de permis qui ne travaillent plus dans le secteur ont reçu un courrier les incitant à revenir et, surtout, le Royaume-Uni va accorder 10.500 visas de travail provisoires pour faire face aux pénuries de main d'oeuvre avant Noël.

Sur le parking du NDC, certaines des mesures laissent sceptiques, comme l'assouplissement des règles qui permettent aux chauffeurs de passer directement l'examen pour conduire les véhicules les plus lourds, sans passer par un camion plus modeste.

"Vous vous voyez passer d'une voiture à un monstre comme ça?", se demande M. Bolton en désignant un gigantesque 10 tonnes, tandis qu'un de ses instructeurs, Andrew, souligne que la sécurité routière pourrait en pâtir.

En revanche, ils se félicitent de l'intérêt nouveau porté au métier, qui attire de nouveaux profils: "il y a eu cinq ou six pilotes d'avions cette année, qui ont peur d'être licenciés" avec la baisse du trafic aérien, se rappelle M. Bolton.

Andrew, ancien chauffeur routier lui-même, dit partager avec ses élèves son expérience d'une "vie dure et solitaire" sur la route. "On vit dans sa cabine six jours par semaine", loin de sa famille, décrit-il.

Visas controversés

Quand il travaillait encore comme conducteur, "il y a 15 ou 20 ans, les salaires n'étaient pas trop mauvais, mais ils n'ont pas suivi l'inflation ni les autres industries", décrit-il.

La plateforme syndicale Unite critique d'ailleurs le gouvernement pour ne pas avoir "amélioré la qualité de vie sur les aires de parking et de repos", où les chauffeurs ne trouvent souvent pas de douches ou de toilettes malgré des prix plus élevés que sur le continent.

Les visas accordés dans l'urgence par le gouvernement fin septembre, pour faire revenir les chauffeurs qui acceptaient ces salaires, sont loin de faire l'unanimité, alors même que peu de volontaires se bousculent pour l'instant pour retraverser la Manche.

La plateforme syndicale Unite a décrié dans un communiqué "le soutien gouvernemental à un système cassé qui exploite" les conducteurs.

D'ailleurs, Alberto Almeida, permis en poche, ne compte pas prendre la route tout de suite, alors que son activité d'électricien lui rapporte plus qu'un travail de chauffeur.

"Si on me proposait de bonnes conditions de travail, oui, j'irais, mais ce n'est pas le cas", s'exclame-t-il. "Le Brexit a juste mis en lumière le problème: personne ne veut être sur la route".

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