couvre-feu

STRASBOURG (awp/afp) - "Dernière commande !" - 22h à la terrasse du Troquet des Kneckes, un bar-restaurant très fréquenté du centre de Strasbourg : les clients savourent leurs "derniers instants de liberté" avant l'instauration du couvre feu à minuit, une mesure globalement respectée mais pas toujours bien acceptée.

Installée sur une table en bois avec 5 de ses amis, Océane Bensaadi, étudiante en droit, sirote une vodka-Redbull. La jeune femme, qui fête justement ses 20 ans, est un peu amère : la situation sanitaire l'a contrainte à revoir ses projets.

"Je pensais fêter ça comme il se doit, 20 ans c'est pas rien ! Je voulais faire une soirée et profiter de la nuit sans restriction", confie-t-elle, avec son masque sous le menton. "Je comprends le couvre-feu, même si je pense que ça va surtout nous pénaliser nous, les étudiants".

En face d'elle, Anne Dobelmann, 22 ans, fait attention à l'heure : elle a trente minutes de trajet pour rentrer chez elle. Cette étudiante en psychologie est moins philosophe quant à la mesure qui s'impose dès vendredi soir à 46 millions de Français. "Ca m'énerve. En plus ça n'aura pas d'effet sur l'épidémie: ce n'est pas comme si le virus commençait à circuler à 21 heures".

A la table d'à côté, Aliénor Meyer commence à encaisser certains clients. Si elle redoute de retourner en chômage partiel, elle estime que le couvre feu est un "moindre mal". "Moi-même j'ai eu le Covid-19, et j'ai des séquelles très lourdes, j'ai développé un asthme difficile à gérer. Je fais de la rééducation".

"On va bidouiller"

A l'intérieur, les clients sont accueillis par un distributeur de gel hydroalcoolique. Il n'y a quasiment pas une table disponible mais il reste de la place au comptoir, où s'accumulent les verres vides. Rien ne permet d'imaginer que dans moins de deux heures, chacun aura quitté les lieux.

"Ca va beaucoup nous affecter", s'inquiète le patron, Franck Meunier, qui gère plusieurs établissements. "Pour les bars, dès ce week-end, on est complètement fermé, pour six semaines, et ce n'est sans doute qu'un début. Pour les restaurants, on va ouvrir les cuisines plus tôt et recevoir les clients à partir de 18 heures".

Il s'attend à une baisse de chiffre d'affaires entre "30 et 40%", et espère que sa clientèle continuera à s'accorder des "moments plaisir", en venant manger un morceau de temps en temps. "On va bidouiller, on va s'adapter, on va voir ce que ça donne".

Quelques rues plus loin, un peu à l'écart du quartier touristique, autre salle, autre ambiance. Au Gavroche, restaurant gastronomique qui a longtemps eu son étoile au guide Michelin, la décoration est soignée, les banquettes en cuir et la lumière tamisée.

"Pincement au coeur"

Lucile Weber et Alexis Fuchs, le couple de gérants, ont réaménagé les lieux. Gestes barrières obligent, ils ont réduit la capacité d'accueil de 26 à 18 couverts. Ce soir, ils ont fait le plein.

"On a senti que les gens profitaient vraiment de cette soirée", explique Lucile Weber. "C'était la dernière où ils pouvaient se faire plaisir et rentrer un peu tard". Car dès samedi, le couvre-feu est ramené de minuit à 21 heures.

"C'est une nouvelle étape qui démarre", estime son compagnon. S'il exprime un "pincement au coeur", il se réjouit à l'idée de passer enfin ses soirées avec son fils de 3 ans, habituellement gardé par une baby-sitter.

Au fond du restaurant, à la dernière table encore occupée, Taylor, un touriste américain qui terminait son diner avec trois amis, s'agite. Il est maintenant 23h50, et il ne sait pas très bien comment rentrer chez lui : il n'avait qu'une vague idée de ce que les annonces du gouvernement impliquaient."On va essayer de prendre un taxi, et sinon, on marchera vite. Je pense qu'on ferait mieux d'y aller...".

apz/ao