France

ÉVRY (awp/afp) - A l'initiative d'une Franco-Vietnamienne qui s'estime victime de l'"agent orange" - un herbicide ultratoxique déversé sur les forêts pendant la guerre du Vietnam -, une dizaine de firmes agrochimiques dont Bayer-Monsanto comparaîtront lundi devant un tribunal français.

Tran To Nga, née en 1942 dans l'Indochine française, s'est engagée pendant le conflit dans le camp du Nord. Or, entre 1961 et 1971, l'armée américaine a épandu des millions de litres d'un défoliant très toxique contenant de "l'agent orange" sur les forêts vietnamiennes et laotiennes pour empêcher la progression de la guerilla communiste, en guerre contre le Sud.

Cette dioxine a une puissance toxique "absolument phénoménale", 13 fois plus importante que les herbicides civils comme le glyphosate par exemple, rappelle Valérie Cabanes, juriste en droit international.

"L'agent orange" détruit la végétation, pollue les sols, intoxique végétaux et animaux. Les conséquences sanitaires sur la population (cancers, malformations) se font encore sentir aujourd'hui.

Soutenue par de nombreuses associations, Tran To Nga porte plainte en 2014 contre 14 firmes ayant fabriqué ou commercialisé ce composé chimique, dont Monsanto (racheté en 2018 par l'allemand Bayer) et le fabricant américain Dow Chemical.

A travers ce procès "historique" lundi au tribunal d'Evry, en région parisienne, la septuagénaire entend participer à la reconnaissance internationale du crime "d'écocide".

"Extermination familiale"

Quatre millions de personnes ont été exposées à "l'agent orange" au Vietnam, au Laos et au Cambodge, estiment les ONG qui défendent les victimes.

"La reconnaissance de victimes civiles vietnamiennes créera un précédent juridique" si la responsabilité des multinationales est établie, a indiqué Valérie Cabanes. En effet, seuls d'anciens combattants américains, australiens et coréens qui ont combattu au Vietnam ont été indemnisés lors de procès entre 1987 et 2013.

Si "des recherches sont toujours en cours" pour déterminer son préjudice physique, Tran To Nga a expliqué souffrir de pathologies "caractéristiques" d'une exposition à "l'agent orange", comme un diabète de type 2 avec une allergie à l'insuline "rarissime". Elle a par ailleurs contracté deux tuberculoses, a été atteinte d'un cancer et une de ses filles est décédée d'une malformation cardiaque.

"Ce n'est pas pour moi que je me bats", a déclaré Tran To Nga, mais "pour mes enfants" et "ces millions de victimes".

Les conséquences sanitaires de cette dioxine cancérigène et tératogène, qui s'attaque au système immunitaire, se transmettent aux générations ultérieures, ce qui constitue une véritable "extermination familiale", juge Tran To Nga.

Environ "6.000 enfants naissent au Vietnam avec des malformations congénitales" par an, a renchérit Valérie Cabanes.

Sollicité par l'AFP, Bayer a expliqué que "l'agent orange" avait "été fabriqué sous la seule direction du gouvernement américain à des fins exclusivement militaires".

Ayant "établi les conditions de sa fabrication et déterminé quand, où, et comment il a été utilisé, (le gouvernement américain) est responsable, et non les fournisseurs en temps de guerre, de son utilisation", a ajouté la multinationale.

La plaignante et ses conseils arguent au contraire que l'Etat américain a été dupé par ces firmes sur la toxicité de "l'agent orange".

Les plaidoiries des différentes parties se tiendront lundi au tribunal d'Evry, au sud de Paris.

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