Singapour (awp/afp) - Une nouvelle Bourse d'échanges de crédits carbone et d'investissements dans des projets de protection de la nature va être lancée à Singapour, mais elle devra convaincre du bien fondé des compensations d'émissions, un concept controversé.

Le Climate Impact X (CIX), soutenu par la Bourse de Singapour, le principal fonds d'investissement de la cité-Etat d'Asie du Sud-Est Temasek et la banque singapourienne DBS, veut encourager les entreprises désireuses de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Des majors pétrolières aux géants technologiques en passant par les compagnies aériennes, de plus en plus de compagnies veulent parvenir à la neutralité carbone.

Certaines entreprises achètent des "crédits carbone", qui leur permettent de continuer leurs activités polluantes en échange de réductions obtenues ailleurs ou d'investissements dans des projets comme dans la protection des forêts tropicales, pour compenser leurs émissions.

Mais cette démarche reste controversée car les grands groupes sont soupçonnés d'avoir recours à ces méthodes pour éviter de repenser leurs opérations. Par ailleurs, certains projets de compensation de carbone ont été des échecs flagrants.

La demande pour les mécanismes de compensation carbone est néanmoins en forte hausse dans le monde.

Le CIX, qui devrait être lancé d'ici la fin de l'année, veut profiter du statut de plateforme financière de Singapour et de sa localisation en Asie.

Dans une région encore fortement dépendante du charbon pour son électricité, un marché du carbone fiable s'impose pour réduire des émissions, a expliqué Ravi Menon, directeur de l'autorité monétaire de l'île lors de la présentation du projet le mois dernier.

De plus, l'Asie du Sud-Est est un "terrain fertile pour exploiter le potentiel de solutions issues de la nature", avec des mangroves abondantes et de vastes zones disponibles pour la restauration des forêts, a-t-il noté.

La Bourse proposera des investissements dans des projets de protection de la nature, ainsi que des échanges de crédits carbone. Un crédit représente une réduction d'une tonne d'émission de CO2.

Consciente des critiques qui soulignent qu'il est extrêmement difficile de vérifier si ces transactions aboutissent vraiment à supprimer du carbone de l'atmosphère, CIX aura recours à des technologies satellite ainsi qu'à la blockchain.

bénéfice pour le climat en question

Cette Bourse fait partie des marchés de carbone "volontaires", par opposition aux initiatives telles que le système d'échange de quotas de l'Union européenne, où certaines industries sont assujetties à des limites pour leurs émissions.

Les marchés volontaires ont connu un boom ces dernières années, mais ils vont encore devoir beaucoup se développer pour atteindre les objectifs requis par l'accord de Paris sur le climat qui cherche à limiter le réchauffement des températures à 1,5 degré.

Mais nombreux sont les experts qui mettent en doute l'intérêt d'impliquer les marchés financiers dans ce domaine.

"Vendre et revendre des crédits carbone ne se fait pas au bénéfice du climat", souligne Gilles Dufrasne, responsable de l'ONG Carbon Market Watch, interrogé par l'AFP.

"Spéculer sur les crédits carbone, en acquérir et les conserver avec le projet de les revendre à l'avenir, ne se fait pas au bénéfice du climat".

Investir dans des projet de protection de la nature est aussi "loin d'être idéal" parce que cela peut être "extrêmement difficile" de mesurer leur vrai impact, souligne-t-il.

De nombreux projets de compensation carbone ont par ailleurs été des échecs flagrants, en provoquant plus de dommages écologiques que de bienfaits, soulignent les spécialistes.

Un projet de restauration de forêt en Ouganda a ainsi bloqué l'accès de villageois à des terres vitales, tandis qu'en Amérique latine, des projets hydroélectriques ont aggravé des conflits sur la propriété des terres, selon une étude de Carbon Market Watch.

Pourtant, certains experts pensent que la compensation du carbone est utile. Notamment pour les industries polluantes qui peinent à atteindre des objectifs de neutralité. Mais seulement si elles sont accompagnées d'efforts sérieux pour changer leurs modèles d'affaires.

Benjamin P. Horton, directeur de l'Observatoire de la Terre à l'université technologique Nanyang de Singapour estime qu'investir dans des projets de conservation de la nature peut contribuer à combattre le réchauffement climatique.

Mais cela doit se faire "en plus de beaucoup de travail pour décarboner les secteurs de l'énergie, du transport, de l'agriculture et d'autres".

afp/jh