Paris (awp) - La commission d'enquête du Sénat a dénoncé la dissimulation de l'Etat français mais aussi les pressions exercées par Nestlé, dans l'affaire des eaux en bouteille traitées illégalement en France. Sa filiale Nestlé Waters dit prendre acte des conclusions.

L'Etat français a "décidé de ne pas révéler" les traitements de désinfection de Nestlé Waters "au grand public, au niveau européen" et aux autorités sanitaires comme "les ARS" (agences régionales de santé), a dénoncé en conférence de presse lundi le rapporteur de la commission d'enquête du Sénat, Alexandre Ouizille.

Dans leur rapport rendu public ce lundi, les sénateurs ont fait savoir que Nestlé Waters, qui exploite les sources Perrier dans le sud de la France, "s'est fait co-auteur du rapport de l'ARS qui a accueilli des demandes de suppression de mentions des bactéries et autres polluants dans le document" et aussi "l'adjonction de paragraphes entiers laudateurs pour l'industriel".

Une fois au courant des filtrations, qui sont illégales pour des eaux dites minérales naturelles, "l'Etat n'a pas fait cesser l'infraction" et "les ventes" d'eau en bouteille des marques du portefeuille de Nestlé (également Vittel, Contrex et Hépar) se sont poursuivies, a indiqué le rapporteur.

"Malgré cette fraude du consommateur, les autorités ont décidé de ne pas poursuivre" l'industriel, a-t-il déclaré, insistant sur l'absence de signalement au procureur de la République", sachant que "l'affaire a été suivie de près par l'Elysée", soit au plus haut sommet de l'Etat français.

Chantage à l'emploi

Interrogé sur l'intérêt de l'Etat à cacher la fraude, le rapporteur a souligné "le chantage à l'emploi". "Les autorités ont été mises sous pression par cette question". En exemple, il a cité Perrier, "une marque milliardaire qui crée des emplois". Rien que le site du Gard emploie un millier de personnes.

Plus tôt dans la matinée, le sénateur avait souligné au micro de la radio publique France Inter que cette "fraude massive" est estimée a minima à 3 milliards d'euros.

M. Ouizille a ajouté "qu'aucune enquête interne n'a été diligentée pour comprendre la chaîne de responsabilité" dans l'entreprise. Il a précisé que le directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, a annoncé lors de son audition une "inspection". "Pour l'instant, ce ne sont que des paroles", a asséné le rapporteur en conférence de presse.

Parmi la trentaine de recommandations, les sénateurs veulent mieux protéger la ressource en eau et que soit menée une analyse des polluants éternels et microplastiques dans les eaux minérales, restructurer et clarifier les arrêtés sur la qualité des eaux conditionnées ou encore "rénover un dispositif de contrôle trop complexe et fouillis".

Nestlé Waters se défend

Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters, a déclaré dans un communiqué reçu par AWP, prendre "acte des conclusions du rapport", "qui reconnaissent l'importance des enjeux sectoriels nécessitant une clarification de la réglementation et un cadre stable, applicable à tous". Elle s'émeut toutefois des "nombreuses déclarations dénigrantes contre l'entreprise", qui "réitère ses regrets pour les traitements non conformes utilisés par le passé, désormais retirés".

Alors qu'une information judiciaire a été ouverte en février par un juge parisien à la suite d'une plainte de l'ONG Foddwatch visant Nestlé pour pratiques commercialises trompeuses, "Nestlé Waters ne cherche ni à éluder cette question, ni à la minimiser: nous collaborerons avec la justice comme nous l'avons toujours fait", a ajouté Mme Lienau, elle-même entendue par les sénateurs.

Christophe Kauffmann, secrétaire fédéral du syndicat CFDT Agri-Agro interrogé par AWP, se dit "très inquiet pour l'avenir des salariés", d'autant que début mai, la presse s'est fait l'écho d'un éventuel désengagement de Nestlé de son portefeuille d'eaux en bouteille. "On risque de se retrouver avec une coentreprise d'ici la fin de l'année". Il a ajouté que le groupe doit "assumer ses responsabilités en termes d'emplois". Selon lui, la multinationale "a les moyens en termes financiers et de marketing de transformer les usines pour faire des boissons", à l'image de l'eau aromatisée et désinfectée Maison Perrier.

A la clôture de la Bourse suisse, l'action Nestlé a terminé en hausse de 0,9% à 87,25 francs suisses, dans un SMI en gain de 0,18%.

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