Paris (awp) - Le rapporteur de la commission d'enquête du Sénat français sur les eaux en bouteille a dénoncé lundi la "fausse sécurité" des traitements des eaux minérales de Nestlé Waters, filiale du géant veveysan, et pointé le refus de ses dirigeants de répondre aux questions posées par les sénateurs ainsi que l'absence d'enquête interne.
"Je pense qu'il faut traiter les eaux s'il y a un problème, on ne peut pas jouer avec des destructions a posteriori. Je trouve que ce n'est pas suffisamment sécurisant", a souligné le rapporteur de la commission Alexandre Ouizille au micro de France Inter, rappelant que "2 millions de bouteilles ont été détruites il y a quelques années, des centaines de milliers il y a encore quelques mois" en raison de contaminations par des "bactéries E.Coli", "des pesticides", "des PFAS" (polluants éternels), en particulier dans les eaux Perrier.
En avril 2024, une partie de la production de cette eau gazeuse avait été détruite "par précaution" après la découverte de bactéries "d'origine fécale" dans un de ses forages.
"Aujourd'hui, il y a des filtrations pour s'assurer que ces bactéries sont éliminées", mais c'est "considéré comme une fausse sécurité", a ajouté le responsable politique, rappelant avoir en tête "le précédent Buitoni", référence au scandale des pizzas contaminées, qui ont entraîné la mort de deux enfants en France. M. Ouizille a affirmé ne pas savoir "depuis quand cela a commencé, sans doute des dizaines d'années. Je sais par contre qu'aucune enquête interne n'a été diligentée pour comprendre la chaîne de responsabilité."
Trois milliards d'euros de fraude
"Il y a un problème sur les eaux brutes" exploitées par la filiale. "Cette eau a besoin d'être filtrée comme l'eau du robinet", or la mention eau minérale naturelle signifie qu'elle n'a pas été désinfectée. Selon le sénateur, "on parle d'une fraude massive", estimée a minima par la répression des fraudes à 3 milliards d'euros. De plus, "il y a une difficulté de Nestlé à renoncer à l'appellation eau minérale naturelle", que le groupe peut vendre plus cher. L'eau en bouteille est achetée "100 à 400 fois plus cher que l'eau du robinet" par les consommateurs.
Le sénateur s'est exprimé ce lundi matin sur la radio publique hexagonale, en amont de la conférence de presse censée dévoiler les conclusions du rapport, six mois après sa création. Celle-ci a été mise sur pied après les révélations du journal Le Monde et de Radio France sur le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source, notamment des marques Perrier, dans le sud de la France, Vittel, Contrex et Hépar, dans les Vosges.
La commission a procédé à de nombreuses auditions, notamment du directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, et de la patronne de Nestlé Waters, Muriel Lienau, de responsables d'usines mais aussi de ministères. "Cela s'est mal passé", a résumé le sénateur, pointant le "refus de répondre" des dirigeants de l'entreprise.
Par ailleurs, "l'Etat est entré dans une logique transactionnelle" avec Nestlé, selon le rapporteur, et ne s'est pas comporté comme "l'édicteur de la norme, garant de l'intérêt général qu'il doit être. Il a dissimulé au grand public cette fraude". Selon lui, "l'Elysée est au courant depuis 2022, le ministère de l'Industrie l'est depuis 2021". Il a fallu attendre les investigations des médias hexagonaux en janvier 2024 pour que l'affaire soit révélée au grand public. "Heureusement qu'il y a eu des lanceurs d'alerte et la presse", a appuyé le sénateur.
L'interviewé a aussi pointé un rapport des autorités sanitaires de novembre 2023. "C'est très grave", car "vous avez un industriel qui devient co-auteur du rapport", avec des "paragraphes entiers laudateurs", qui "sont rajoutés à la demande de l'industriel". Ce dernier se fait aussi "censeur. En effet, les mentions des bactéries et des PFAS sont biffées". Le fonctionnaire instructeur a demandé le retrait de sa signature et alerté, selon M. Ouizille. Les autorités ont quand même produit ce rapport, et cela demande "des sanctions".
"La présidente de Nestlé Waters, Muriel Lienau, a rencontré à de multiples reprises Alexis Kohler", ex-secrétaire général de l'Elysée, qui a refusé de se présenter devant la commission.
Le rapport de la commission d'enquête, dont les grandes lignes ont été publiées dans la presse lundi, souligne que "cette dissimulation relève d'une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021. Près de quatre ans après, la transparence n'est toujours pas faite", d'après le document.
Dans un communiqué, Ingrid Kragl, directrice de l'information de l'ONG de défense des consommateurs Foodwatch indique que l'Etat, "pendant des années", "était manifestement trop occupé à couvrir une fraude massive au lieu d'appliquer la réglementation. Ce qui a permis à Nestlé d'écouler des produits frauduleux et de tromper les consommateurs sans être inquiété". Une information judiciaire a été ouverte en février par le Tribunal judiciaire de Paris à la suite d'une plainte de l'ONG visant Nestlé pour pratiques commercialises trompeuses. Foodwatch attend "des juridictions pénales qu'elles sanctionnent de manière exemplaire les responsables quels qu'il soient", a-t-elle ajouté.
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